Aristote aimait-il mieux disséquer des poulpes qu' observer les cieux ? Peut-on comme Sénèque être à la fois milliardaire et stoïcien ? Qu'avait donc Kant contre la masturbation ? Vous trouverez la réponse à bien des questions que vous ne vous êtes jamais posées au détour de ces Curiosités philosophiques qui nous invitent à entrer dans le monde de personnages singuliers que l'on a coutume d'appeler philosophes.
De Platon à Russell, Thibaut Giraud nous guide à travers des textes étonnants et nous fait découvrir sous un jour inattendu ces grands penseurs. S'ils sont susceptibles en d'autres circonstances de se montrer effrayants ou intimidants - surtout avec les nouveaux venus -, ils se révèlent ici lisibles et accueillants.
Une précieuse initiation à la lecture des philosophes pour tous les publics.
Comme une locomotive lancée à toute allure qui aurait perdu son conducteur, l'histoire des sociétés occidentales se caractériserait, à partir du milieu du xviiie siècle, par une accélération exponentielle qui serait devenue hors de contrôle. On a là une vision de la modernité dont Hartmut Rosa est le représentant le plus connu et qui est aujourd'hui largement partagée.
Durant ces dernières décennies, les effets destructeurs de l'activité humaine sur la planète ont augmenté à une vitesse spectaculaire. Mais une sorte d'inversion apparaît : la Nature, vue jadis comme lieu de la répétition, se trouve historicisée et même précipitée vers une fin, tandis que l'Histoire, lieu même du changement, semble étrangement stagnante.
Associant étroitement histoire des concepts et réflexion sur la modernité, Christophe Bouton invite à une évaluation critique de ce récit de « l'accélération de l'histoire ». Qui sont ses défenseurs ? Quelles sont les significations qu'elle revêt dans ses divers usages théoriques, pratiques et politiques ? Vivons-nous vraiment à l'ère de l'accélération généralisée ? Ne faut-il pas plutôt varier les perspectives en étant attentifs à d'autres expériences du temps historique, comme le souci du passé ou l'esprit de l'utopie, qui résistent à cette tendance de fond ?
Des événements qui, il y a peu, relevaient de l'improbable, de scénarios du pire, ou de la dystopie, sont désormais notre quotidien. La science-fiction est devenue notre réalité. Nous vivons dans un chaos qui s'intensifie même si, ici ou là, fleurissent sur les ruines du capitalisme des utopies concrètes, localistes et réalisables, des cabanes et des refuges. Mais ces utopies ne sont-elles pas souvent concédées, dans les marges, par ceux-là mêmes qui promettent la colonisation de l'espace et les cités autosuffisantes pour milliardaires ?
Il y a urgence à revendiquer des lieux où se déploieraient en totale liberté nos imaginaires. L'utopie radicale peut répondre à l'extrémité des désastres actuels et à venir. Nous pouvons et devons rêver de technologies et de rencontres intergalactiques émancipatrices et ne pas laisser ce pouvoir aux seuls capitaines des vaisseaux capitalistes.
Face à la catastrophe, oserons-nous rêver d'autres mondes ?
Durant l'année scolaire 1960-1961, Jacques Derrida, alors assistant en philosophie générale et logique à La Sorbonne, entreprend une lecture de la phrase d'Alain, « Penser, c'est dire non ». Ce cours magistral en quatre séances donne déjà à lire les marques d'une écriture déconstructrice à venir. Il s'inscrit aussi dans une pensée du « oui non », de ce qu'est fondamentalement la pensée, et de ce qu'elle dit quand elle dit oui, non. Des questions qui servent de points d'appui pédagogiques récurrents à Derrida dans les années 1960 - décennie de pensée effervescente en France.
À la lecture de cette présente édition, ces questions apparaissent aussi comme ayant toujours déjà été fondamentales à la pensée derridienne. Elles gardent aujourd'hui toute leur pertinence, à une époque où il est souvent difficile de dire la différence entre pensée et croyance. Entièrement inédit et rédigé à la main par Derrida pendant la guerre d'indépendance de son pays de naissance, l'Algérie, Penser, c'est dire non est le fruit d'un défi éditorial de plusieurs années qui donne lieu aujourd'hui à la publication d'un des textes les plus anciens du corpus derridien paru à ce jour.
Édition établie par Brieuc Gérard.
Traduction nouvelle de Bernard Pautrat.
Qu'est-ce que l'homme ? Michel Foucault, au mitan des années 1950, consacre une partie de son enseignement, dispensé à l'université de Lille et à l'École normale supérieure, à comprendre comment cette interrogation a traversé et transformé la philosophie. Ces leçons sont rassemblées dans un manuscrit, dont nous proposons ici l'édition complète.
Foucault déroule son parcours en une dramaturgie impeccable. Premier acte : montrer pourquoi la philosophie classique (Descartes, Malebranche, Leibniz) demeurait sourde à cette question. Son idée infinie de « nature » empêchait que l'homme puisse nouer un rapport immédiat à sa propre vérité. Deuxième acte : exposer comment, après le renversement kantien, le point de gravitation de la philosophie moderne, de Feuerbach à Dilthey en passant par Hegel et Marx, devient cet homme vrai qui déploie un monde de significations et de pratiques révélant son essence. Troisième acte : décrire l'éclatement du dispositif anthropologique chez Nietzsche - à travers cette pensée dionysiaque qui, avec la mort de Dieu, proclame l'effacement de l'homme et promet des expériences tragiques de vérité. Pour la première et dernière fois, on trouve sous la plume foucaldienne une présentation longue, précise et percutante de la philosophie de Nietzsche.
Dans ce cours, Foucault lance en même temps des flèches vers son oeuvre à venir. On y discerne déjà l'entreprise critique qui s'épanouit en 1966 dans Les Mots et les Choses : thèse d'une configuration anthropologique de la modernité, annonce d'une mort de l'homme après son invention toute récente, programme d'une archéologie des sciences humaines. Juste avant son départ pour la Suède, Foucault surgit à la verticale de son propre destin philosophique.
Voici le premier cours de Michel Foucault, professé au Collège de France en 1971. Foucault fait suite ici à l'annonce de sa leçon inaugurale dans lqauelle il déclarait vouloir établir une généalogie du savoir. Le véritable thème de ce cours est moins la possibilité de cette entreprise que ses effets sur notre conception de la vérité depuis Platon, c'est-à-dire sur la philosophie elle-même. D'Hésiode à Nietzsche, Foucault, Foucault poursuit une réflexion qui se nourrit aussi à des sources plus contemporaines, explicites ou implicites : Heidegger, Jean-Pierre-Vernant, Marcel Detienne, notamment.
Dans ces leçons, prononcées au Collège de France de novembre 1971 à février 1972, Michel Foucault théorise pour la première fois la question du pouvoir qui va l'occuper jusqu'à la rédaction de Surveiller et punir (1975) et au-delà.
À travers la relation minutieuse de la répression par Richelieu de la révolte des Nu-pieds (1639-1640), il montre comment le dispositif de pouvoir élaboré à cette occasion par la monarchie rompt avec l'économie des institutions juridiques et judiciaires du Moyen Âge et ouvre sur un « appareil judiciaire d'État » dont la fonction va se centrer sur l'enfermement de ceux qui défient son ordre. Il étend ensuite son analyse à l'économie des institutions juridiques et judiciaires depuis le droit germanique jusqu'au seuil de la modernité.
Dans ce cours, Michel Foucault systématise l'approche d'une histoire de la vérité à partir de l'étude des « matrices juridico-politiques », étude qu'il avait commencée dans le cours de l'année précédente (La Volonté de savoir) et qui est au cour de la notion de « relation de savoir-pouvoir ».
L'irruption de la notion de « post-vérité », désignée comme mot de l'année 2016 par le dictionnaire d'Oxford, a suscité beaucoup de commentaires journalistiques, notamment sur le phénomène des fake news, mais peu de réflexions de fond. Or, cette notion ne concerne pas seulement les liens entre politique et vérité, elle brouille la distinction essentielle du vrai et du faux, portant atteinte à notre capacité à vivre ensemble dans un monde commun.
En questionnant les rapports conflictuels entre politique et vérité, Myriam Revault d'Allonnes déconstruit nombre d'approximations et de confusions. Elle montre que le problème majeur de la politique n'est pas celui de sa conformité à la vérité mais qu'il est lié à la constitution de l'opinion publique et à l'exercice du jugement. L'exploration du « régime de vérité » de la politique éclaire ce qui distingue fondamentalement les systèmes démocratiques, exposés en permanence à la dissolution des repères de la certitude, à la tentation du relativisme et à la transformation des « vérités de fait » en opinions, des systèmes totalitaires, où la toute-puissance de l'idéologie fabrique un monde entièrement fictif.
Loin d'enrichir le monde, la « post-vérité » appauvrit l'imaginaire social et met en cause les jugements et les expériences sensibles que nous pouvons partager. Il est urgent de prendre conscience de la nature et de la portée du phénomène si nous voulons en conjurer les effets éthiques et politiques.
Dans cet écrit posthume, Hans Blumenberg étudie le sens et les variations d'une « métaphore directrice » dans la pensée occidentale, celle de la « vérité nue ». Il en dégage des usages paradigmatiques : Nietzsche insiste surtout sur les dangers du dévoilement et sur le danger qu'il y aurait à contempler la vérité nue, tandis que Freud confère à la découverte de celle-ci une vertu thérapeutique.
La théorie de Pascal, qui souligne la nécessité sociale des apparences, est confrontée à celles de penseurs des Lumières qui se divisent sur les vertus de la mise à nu. Des thèmes marquants de la réflexion de Blumenberg, comme celui du déploiement de la curiosité et des attentes déçues du savoir, du besoin humain de consolation voire d'illusion, apparaissent au fil des pages. On y voit réalisé sur un cas précis le projet « métaphorologique » : à travers l'exploration d'une image, faire apparaître à la fois les mutations de longue durée de la pensée, les déplacements de sens et les trouvailles des philosophes.
Disons les choses d'emblée : la condition anarchique ici n'a rien à voir avec l'anarchisme qui intéresse la théorie politique. Lue étymologiquement, comme absence de fondement, an-arkhé, elle est le concept central d'une axiologie générale et critique. Générale parce qu'elle prend au sérieux qu'on parle de « valeur » à propos de choses aussi différentes que l'économie, la morale, l'esthétique, ou toutes les formes de grandeur, et qu'elle en cherche le principe commun. Critique parce qu'elle établit l'absence de valeur des valeurs, et pose alors la question de savoir comment tient une société qui ne tient à rien.
Aux deux questions, une même réponse : les affects collectifs. Ce sont les affects qui font la valeur dans tous les ordres de valeur. Ce sont les affects qui soutiennent la valeur là où il n'y a aucun ancrage. Dans la condition anarchique, la société n'a que ses propres passions pour s'aider à méconnaître qu'elle ne vit jamais que suspendue à elle-même.
Jacques Bouveresse fut un philosophe en tout point singulier : d'abord connu comme introducteur en France d'une des pensées les plus importantes de l'histoire de la philosophie, celle de Wittgenstein, il a développé une oeuvre qui témoignait d'un tempérament profondément indépendant vis-à-vis des modes intellectuelles, souvent polémique par rapport aux aveuglements idéologiques, aux facilités rhétoriques ou aux faiblesses argumentatives de ce qui était présenté comme la Théorie française.
Jean-Claude Monod a entretenu avec Jacques Bouveresse une longue conversation. La remémoration de ces discussions lui permet de livrer un portrait sensible de l'auteur du Mythe de l'intériorité, en revenant sur ses points d'ancrage et ses combats : son inscription dans la tradition française d'un certain rationalisme ; son ouverture à la philosophie analytique aussi bien qu'à la littérature de langue allemande ; sa critique du journalisme, nourrie par l'exemple du satiriste viennois, Karl Kraus ; sa complicité avec Pierre Bourdieu, qui articulait autrement engagement et rigueur scientifique ; son attachement à l'idée de vérité objective. C'est tout un paysage intellectuel qui est ainsi parcouru, celui de la philosophie française des cinquante dernières années, que Jacques Bouveresse a contribué à transformer en profondeur.
Philosophe éprouvé par la vie, cherchant dans les textes les vérités nécessaires à « la construction de soi » et puisant en eux l'élan spirituel de la joie, Alexandre Jollien nous offre le troisième volet d'une quête spirituelle exigeante et sincère. Comment se libérer des passions et des attachements qui entravent la joie de vivre et d'être soi ? se demande-t-il.
Recourant à la forme intime du Journal, le philosophe se met à nu, non pour s'exhiber mais pour ausculter l'insatisfaction, la honte de son corps, la colère... qui résistent aux paroles vraies d'un Spinoza, d'un Montaigne ou d'un Sénèque dont il est pourtant imprégné. Son âme nue face au miroir, il explore le paradoxe qu'il y a à être considéré comme un maître de vie et à être soi- même d'une fragilité absolue, ou encore sa dépendance affective à l'égard de ceux qui le célèbrent. La nudité du philosophe devient alors épreuve : celle que lui font subir son sentiment d'impuissance et sa cruelle fascination pour le corps des autres hommes, sur qui il projette la perfection dont il se sent privé. Cette émouvante méditation témoigne du difficile chemin pour être soi, pour se tenir en joie. Mais peu à peu l'expérience éprouvante de la nudité se transforme en celle, rayonnante, du dénuement spirituel, qui n'est autre que disponibilité à la joie. Alexandre Jollien s'y dévoile davantage, et le lecteur le quitte plus attaché encore à ce souffle spirituel et philosophique qui fait sa marque.
On le sait depuis Aristote : ce qui distingue la fiction de l'expérience ordinaire, ce n'est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité. Elle dédaigne en effet l'ordinaire des choses qui arrivent les unes après les autres pour montrer comment l'inattendu advient, le bonheur se transforme en malheur et l'ignorance en savoir.
Cette rationalité fictionnelle a subi à l'âge moderne un destin contradictoire. La science sociale a étendu à l'ensemble des rapports humains le modèle d'enchaînement causal qu'elle réservait aux actions d'êtres choisis. La littérature, à l'inverse, l'a remis en cause pour se mettre au rythme du quotidien quelconque et des existences ordinaires et s'installer sur le bord extrême qui sépare ce qu'il y a de ce qui arrive.
Dans les fictions avouées de la littérature comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du journalisme, il s'agit toujours de construire les formes perceptibles et pensables d'un monde commun. De Stendhal à João Guimarães Rosa ou de Marx à Sebald, en passant par Balzac, Poe, Maupassant, Proust, Rilke, Conrad, Auerbach, Faulkner et quelques autres, ce livre explore ces constructions au bord du rien et du tout.
En un temps où la médiocre fiction nommée « information » prétend saturer le champ de l'actuel avec ses feuilletons éculés de petits arrivistes à l'assaut du pouvoir sur fond de récits immémoriaux d'atrocités lointaines, une telle recherche peut contribuer à élargir l'horizon des regards et des pensées sur ce qu'on appelle un monde et sur les manières de l'habiter.
Trois visées philosophiques traversent cette suite d'études. Selon la première, est cherché pour le soi un statut qui échappe aux alternances d'exaltation et de déchéance qui affectent les philosophies du sujet en première personne : dire soi n'est pas dire je. Tenu pour le réfléchi de toutes les personnes grammaticales - comme dans l'expression : le souci de soi -, le soi requiert le détour d'analyses qui amènent à articuler diversement la question qui ? Qui est le locuteur de discours ? Qui est l'agent ou le patient de l'action ? Qui est le personnage du récit ? A qui est imputée l'action placée sous les prédicats du bon ou de l'obligatoire ?
Deuxième visée : l'identité que suggère le terme «même» est à décomposer entre deux significations majeures : l'identité-idem de choses qui persistent inchangées à travers le temps, et l'identité-ipse de celui qui ne se maintient qu'à la manière d'une promesse tenue.
Enfin, c'est l'antique dialectique du Même et de l'Autre qui doit être renouvelée si l'autre que soi-même se dit de multiples façons ; le «comme» de l'expression «soi-même comme un autre» peut dès lors signifier un lien plus étroit que toute comparaison : soi-même en tant qu'autre.
P. R.
Qu'appelle-t-on un étranger ? Comment l'accueille-t-on ? Comment le refoule-t-on ? Quelle différence entre un autre et un étranger ? Qu'est-ce qu'une invitation, une visite, une visitation ? Comment la notion de l'étranger s'inscrit-elle dans la langue ? Quelle est son histoire européenne, et d'abord grecque ou latine ? Comment se distribue-t-elle dans les espaces de la parenté, de l'ethnie, de la Cité, de l'État, de la nation ? Comment analyser aujourd'hui, notamment en France et en Europe, la pertinence et les enjeux de l'opposition ami/ennemi ? Compte tenu de mutations technologiques (par exemple dans la structure et la vitesse de la communication), qu'en est-il des frontières, de la citoyenneté, des droits dits du sol ou du sang, des populations déplacées ou déportées, de l'immigration, de l'exil ou de l'asile, de l'intégration ou de l'assimilation (républicaine ou démocratique), de la xénophobie ou du racisme ?
Ces questions sont travaillées par Jacques Derrida à travers des lectures croisées de grands textes classiques (de la Bible, de Sophocle ou de Platon - et surtout du fameux article de Kant sur le droit cosmopolitique à l'hospitalité universelle dans Vers la paix perpétuelle) et modernes (de Heidegger, de Benveniste sur l'ipséité ou sur le rapport hospes/hostis, d'Arendt sur le déclin de l'État-nation, de Roberte ce soir de Klossowski), mais aussi à propos de débats en cours au sujet de l'immigration ou du droit d'asile en France et en Europe. La réflexion préliminaire de Derrida dans cette première année de son séminaire « Hospitalité » est structurée par la distinction rigoureuse, quoique sans opposition, entre deux logiques hétérogènes qui risquent toujours de se pervertir l'une l'autre : celle d'une hospitalité stricte et conventionnelle (toujours finie, conditionnelle et subordonnée à la maîtrise du chez soi ou de l'ipséité) et l'idée d'une hospitalité inconditionnellement ouverte à l'arrivant.
Séminaire établi par Pascale-Anne Brault et Peggy Kamuf.
Cet ouvrage de philosophie et de sagesse est inséparable de la personnalité de l'auteur. Alexandre Jollien, gravement handicapé à sa naissance, a passé les dix-sept premières années de sa vie dans une institution spécialisée. Grâce à la détermination d'un de ses éducateurs, et après avoir été initié à l'informatique, il a pu entreprendre des études approfondies, notamment en philosophie. Dans un ouvrage publié au Seuil en 2002, il exprimait le point de vue qu'il s'est forgé sur la vie, la souffrance, l'amitié, le rapport au corps que peut entretenir un handicapé. Ce petit livre, Le métier d'homme, a été un best-seller (85 000 exemplaires vendus à ce jour) tandis que son auteur, invité par tous les médias, devenait une figure emblématique du handicap assumé et vaincu.Aujourd'hui, Alexandre Jollien aspire très légitimement à être perçu comme philosophe à part entière. Même s'il se réfère encore à l'incroyable et magnifique combat qu'a été sa vie jusqu'à la victoire sur le handicap, il refuse d'être « le philosophe du handicap » ou « le handicapé devenu philosophe ». Il s'oppose donc à ce qu'on fasse mention de son handicap dans les textes promotionnels quels qu'ils soient. Il a raison. Son nouveau livre justifie - et mérite- cette perception et ce respect. Dans ce texte, approfondi et médité, Alexandre Jollien, tout en revenant sur son aventure personnelle, s'exprime en philosophe. Il témoigne, pour l'avoir expérimenté, de l'importance salvatrice de la philosophie.
Voici enfin disponible la sagesse d'un pionnier de la pensée écologiste.
Étonnamment méconnue en France, l'écosophie d'Arne Næss, philosophe majeur du XXe siècle, est ici présentée à travers dix textes accessibles et sensibles. On y apprend ce qu'est véritablement l'écologie profonde et comment cette philosophie est née d'une relation intime avec la montagne.
Prolongeant la pensée de Spinoza, Næss montre comment l'affection pour tout ce qui est vivant - et non le rapport objectivant, gestionnaire ou dominateur sur la nature - est au coeur du développement personnel, de la formation de l'identité sociale... et d'une société plus juste.
Textes traduits du norvégien par Naïd Mubalegh, et de l'anglais par Pierre Madelin, sous la direction scientifique de et révisés par Hicham-Stéphane Afeissa.
Textes présentés par Hicham-Stéphane Afeissa et Mathilde Ramadier.
En octobre 1954, Michel Foucault, alors assistant en psychologie à Lille, écrit à son ami Jean-Paul Aron au sujet d'un texte qu'il est en train de rédiger : « La thèse est passée en deux mois du néant à la 150e page. Je suis moi-même fort surpris de ce livre-champignon : non seulement de sa croissance, qui exige bien des retouches, mais aussi de sa tournure ; il a pris tout de suite l'allure d'une interrogation sur la notion de monde dans la phénoménologie, qui m'a mené à toute une interprétation de Husserl, qu'on dira certainement heideggérienne, mais qui ne l'est pas, je crois. Je me demande en tout cas comment j'ai pu jouer au psychologue pendant plusieurs années. » Le manuscrit édité dans ce volume correspond sans doute à ce projet de thèse que Foucault n'a plus évoqué par la suite.
De ce silence, comme de quelques remarques ultérieures, on a pu déduire que Foucault avait une vision surtout négative de la phénoménologie. Phénoménologie et Psychologie montre pourtant qu'il avait le plus grand respect pour la pensée de Husserl, dont on constatera que le jeune philosophe avait une maîtrise remarquable. Pour lui, la phénoménologie husserlienne permet à la philosophie de se dégager des impasses de la psychologie. Ressaisie dans sa radicalité transcendantale, la phénoménologie ne se concentre plus en effet sur le sujet ou la conscience, mais elle dévoile sa portée proprement ontologique en s'orientant résolument vers le monde. À travers son interprétation de Husserl, Foucault définit donc pour la première fois son propre projet philosophique, liant expérience, sujet, vérité et langage.
«L'ouvrage comporte trois parties nettement délimitées par leur thème et leur méthode. La première, consacrée à la mémoire et aux phénomènes mnémoniques, est placée sous l'égide de la phénoménologie au sens husserlien du terme. La deuxième, dédiée à l'histoire, relève d'une épistémologie des sciences historiques. La troisième, culminant dans une méditation sur l'oubli, s'encadre dans une herméneutique de la condition historique des humains que nous sommes.Mais ces trois parties ne font pas trois livres. Bien que les trois mâts portent des voilures enchevêtrées mais distinctes, ils appartiennent à la même embarcation destinée à une seule et unique navigation. Une problématique commune court en effet à travers la phénoménologie de la mémoire, l'épistémologie de l'histoire, l'herméneutique de la condition historique : celle de la représentation du passé.Je reste troublé par l'inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence des commémorations et des abus de mémoire - et d'oubli. L'idée d'une politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués.»Paul Ricoeur
Comment défendre les Lumières aujourd'hui ? Leur idéal d'émancipation a-t-il encore un sens ?
On ne saurait se borner à invoquer un esprit des Lumières immuable dans un contexte marqué par le réveil du nationalisme, les crises environnementales et sanitaires et l'augmentation des inégalités. Faire face au danger d'effondrement de notre civilisation sans renoncer à la rationalité philosophico-scientifique, mais en tenant compte de notre dépendance à l'égard de la nature et des autres vivants : telle est la démarche qui fonde ce livre. Pour combattre les anti-Lumières qui souhaitent rétablir une société hiérarchique ou théocratique et répondre aux accusations des postmodernes qui suspectent tout universalisme d'être hégémonique, il faut donc proposer de nouvelles Lumières. Celles-ci supposent de revisiter l'histoire des Lumières, mais aussi de lutter contre l'amputation de la raison qui a été réduite à un instrument de calcul et d'exploitation.
L'objectif des Lumières à l'âge du vivant et de leur projet d'une société démocratique et écologique est bien de destituer le principe de la domination - une domination des autres et de la nature à l'intérieur et à l'extérieur de soi qui traduit un mépris du corps et de la vulnérabilité.
Si l'histoire de la philosophie a donné lieu à quelques monuments éditoriaux depuis un siècle, très rares ont été les entreprises synthétiques, accessibles aux néophytes comme aux initiés, et retraçant en un unique volume plus de deux millénaires de débats et de révolutions intellectuels.
C'est le défi de la présente Histoire de la philosophie, somme rédigée par des spécialistes de toutes nationalités, qui offre une présentation avisée et didactique de l'ensemble de la tradition occidentale, des origines à nos jours. Le lecteur y est guidé parmi la pensée et les oeuvres des principaux philosophes, depuis les premiers penseurs de l'Antiquité grecque jusqu'aux auteurs qui réfléchissent aujourd'hui à notre connaissance de la nature, des nouvelles technologies ou au gouvernement de la cité.
Il pénètre en outre au coeur des grandes joutes culturelles, religieuses, scientifiques ou politiques auxquelles les philosophes ont pris part ; celles-là mêmes au sein desquelles la philosophie s'est élaborée, renouvelée et ne cesse de poursuivre son questionnement.
Après avoir longtemps refusé d'y toucher, les sciences sociales découvrent que la société marche aux désirs et aux affects. Mais quand on voit que l'économie, bien dans sa manière, poursuit son fantasme de science dure en s'associant maintenant avec la neurobiologie, on devine que le risque est grand que le " tournant émotionnel " porte à son comble le retour à l'individu et signe l'abandon définitif des structures, institutions, rapports sociaux, par construction coupables de ne pas faire de place aux choses vécues.
Comment articuler les émotions des hommes et le poids de détermination des structures ? Comment penser ensemble ces deux aspects également pertinents, et manifestement complémentaires, de la réalité sociale - que rien ne devrait opposer en principe ? Tel est le projet de " structuralisme des passions " que Frédéric Lordon expose dans ce livre brillant et roboratif. Mobilisant les textes de Spinoza, mais aussi de Marx, Bourdieu et Durkheim, il s'efforce de penser la part passionnelle des structures du capitalisme et de leurs crises historiques successives.
Économiste devenu philosophe, Frédéric Lordon s'attache au fond par ce travail à la " réfection de nos sous-sols mentaux ". Parce que la destruction du socle métaphysique de la pensée libérale est un préalable indispensable à la transformation politique des structures.