« Ô, puissè-je me partager comme un polype! Puissè-je disposer d'une douzaine de moi! J'ai du travail pour tous! ». L'inlassable auteur qu'est Bentham a ouvert de multiples voies : en droit et en politique, en éthique plutôt qu'en morale, en philosophie de la religion, mais aussi, par sa réflexion sur l'éducation, dans les sciences et en technologie. Toutes ces voies naissent de la même origine : la recherche du plaisir auquel est conférée une valeur ontologique. Sans doute, les notions d'utilité, de préférence et de calcul, la théorie des jeux aidant, ont-elles aujourd'hui remplacé le plaisir, semblant ainsi reléguer la figure du « père de l'utilitarisme » au plan de l'histoire des idées. C'est oublier que la philosophie benthamienne, dans son usage des fictions, se révèle porteuse de savoirs nouveaux, qui ont tout juste commencé d'être explorés.
Fichte est le penseur de la liberté par excellence : tout son système se fonde ainsi sur la liberté. Le présent ouvrage donne un aperçu de la vie de Fichte et expose les lignes les plus importantes de sa Wissenschaftslehre qui, science de la science, embrasse tous les domaines (morale, droit, religion...), avant de donner une analyse détaillée des oeuvres majeures de Fichte : L'Assise fondamentale de la Doctrine de la science, Fondement du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science, Le système de l'éthique selon les principes de la Doctrine de la science, La Destination de l'homme et l'Initiation à la vie bienheureuse. Au-delà de son influence exercée sur les autres grandes figures de l'idéalisme allemand que sont Schelling et Hegel, et même jusqu'au XXe siècle, l'actualité de Fichte tient essentiellement à ce qu'il fut « un éducateur à la liberté, un défenseur des droits de l'homme ».
Hobbes, se voulant savant, entreprit le grand projet des Éléments de la philosophie couvrant les trois grands domaines de la science utile : le corps, la nature humaine et la vie civile. Une physique, une anthropologie, une science politique, unies par une même méthode de ratiocinatio. Mais la Guerre civile anglaise et la singularité de plus en plus apparente de la doctrine politique le conduisirent à considérer plus en profondeur la possibilité, puis la nécessité d'établir sur des fondements propres une philosophie politique ; et il offrit ainsi dans le Léviathan la théorie de l'État la plus décisive qui soit pour l'époque moderne.
Descartes ? Un nom, un adjectif (« cartésien ») peu engageant, les règles, le cogito ., pense-t-on. Mais la philosophie de Descartes est beaucoup plus vaste, plus riche et plus nuancée que les stéréotypes auxquels on la réduit à l'accoutumée. Elle propose non seulement une remarquable « méthode » pour bien penser, mais aussi, entre autres choses, une physique qui donne ses fondements à la science moderne de la nature, une métaphysique et une morale qui rejoignent, sous bien des aspects, nos questionnements contemporains. Descartes, c'est un homme : on en ébauche la biographie. Descartes, c'est une philosophie complète : on en expose, de façon à la fois abordable et détaillée, la structure et les contenus en suivant l'ordre qu'il a lui-même indiqué dans le célèbre texte où il compare la philosophie à un arbre. Descartes, c'est enfin une vive pensée en mouvement, d'un texte à l'autre ; on parcourt en les présentant ses oeuvres majeures.
Ce livre dégage le fil conducteur de la philosophie de John Dewey (1859-1952). Il part du conflit que Dewey érige en problème central de la civilisation moderne et montre comment ses thèses représentent autant d'efforts pour dessiner une solution possible. Si la réflexion sur les principes de notre conduite retarde par rapport au mode d'enquête scientifique, c'est qu'un ensemble de blocages intellectuels empêche l'adoption d'une attitude expérimentale dans les affaires humaines. Comment repenser les relations entre l'homme et la nature, la connaissance et l'action, la fin et les moyens, pour surmonter les dualismes qui bloquent le développement de l'enquête humaine ? Une telle reconstruction exige de renoncer à la philosophie comme savoir et source d'autorité certaine pour en faire une attitude, en son fond identique avec le mode de penser scientifique et le mode de vie démocratique.
Étienne Gilson (1884-1978) est un intellectuel atypique : spécialiste de renommée mondiale pour ses travaux en histoire de la philosophie médiévale, professeur au Collège de France et membre de l'Académie française, il est aussi très engagé dans les affaires du siècle. Prisonnier de guerre en Allemagne, et apprenant le russe à cette occasion, il est envoyé en Ukraine pour une mission sur la famine (1922) ; il crée un institut d'études médiévales à Toronto, publie des centaines d'articles dans la presse quotidienne et participe aux conférences fondatrices de l'ONU. Il n'est ni pour Sartre, ni pour Aron, et prône, lors de la signature des accords de l'OTAN la neutralité et le non-alignement de l'Europe. Intellectuel chrétien, au plein sens du terme, il n'hésite pas à engager la querelle avec les évêques et permet de comprendre comment l'on passe d'un modernisme critique d'avant la Première Guerre mondiale à un thomisme libéral et au Concile de Vatican II, avant de donner la mesure de la crise postconciliaire.
Pour Shakespeare, le monde était une scène. Avant lui, Platon avait déjà comparé notre existence à un théâtre de marionnettes. L'image du « théâtre du monde » continue à s'imposer aujourd'hui encore comme un véritable lieu commun, et l'on parle souvent de la « scène politique », des « drames » ou des « tragédies » de l'actualité. Pourquoi la condition humaine est-elle si étroitement associée à cette image ? Telle est l'interrogation qui guide ce livre : le réel envisagé littéralement comme théâtre, ou à partir du théâtre. Il s'agit d'un réel charnel et passionnel, lié aux possibilités qui nous tourmentent ou nous fascinent, et sur lesquelles on aimerait porter un regard distancié et englobant. Mais ce réel est aussi débordant, il donne lieu à toutes sortes d'illusions et ne se laisse pas facilement enfermer dans les limites étroites de la scène. Voilà pourquoi il relève d'une Autre Scène, plus insaisissable et fantasmatique.
En interrogeant cette idée, on voudrait montrer la puissance philosophique du théâtre.
Réputé pour son goût de la démesure (La Grande Parade, Duel au soleil, Le Rebelle), King Vidor a traversé les époques et les genres du cinéma hollywoodien classique. De La Foule et d'Hallelujah à Salomon et la reine de Saba, il a marqué l'histoire du cinéma de son empreinte. Poète épique pour ses admirateurs, raciste et fasciste pour ceux que heurtent Le Grand Passage ou Le Rebelle, Vidor échappe aux étiquettes. Taxés de misogynie, ses mélodrames (Stella Dallas, Ruby Gentry) sont aujourd'hui relus et réhabilités par les féministes. Cinéaste de la violence et du désir, Vidor se fait, dans Guerre et paix, portraitiste amoureux d'Audrey Hepburn. Artiste personnel au coeur d'un système standardisé, il est peut-être avant tout le premier véritable auteur du cinéma américain.
La pensée de Hegel n'est-elle pas l'emblème et le symbole de la manière dont la philosophie, sous couvert d'arguments rationnels, a légitimé dans l'histoire la domination masculine et l'exclusion des femmes hors du progrès de l'esprit? C'est précisément ce présupposé, longtemps partagé, que ce livre voudrait contribuer à nuancer et à corriger.
Prenant acte de la réappropriation récente de la philosophie hégélienne dans certains débats féministes contemporains, il entreprend à la fois une clarification et une actualisation sur cette question. À cette fin, il prend pour point de départ la figure d'Antigone discutée dans la Phénoménologie de l'esprit et propose à partir de là une lecture des grands textes hégéliens et de certaines parties du système. La lutte pour la reconnaissance entre hommes et femmes en vient à transformer en profondeur la fameuse dialectique du maître et de l'esclave et ouvre la perspective d'un dialogue entre féminisme et hégélianisme. Il en ressort que l'ironie féminine de la communauté, dont Antigone était la représentante dans le monde grec, paraît plus que jamais faire référence à notre présent.
Le présent volume rassemble les conférences plénières et communications présentées lors du XIIe Congrès International de la Société d'Études Kantiennes de Langue Française (qui s'est tenu en 2015 à la Johannes Gutenberg-Universität de Mayence). La philosophie de l'histoire, la pensée du droit et de la politique ainsi que la définition des Lumières, que l'on rencontre notamment dans les opuscules Qu'est-ce que les Lumières ? et L'idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, de même que dans le cours sur le droit naturel dit « Feyerabend », respectivement publiés et dispensés en 1784, demeurent aujourd'hui encore d'une grande actualité, en particulier dans la mesure où ces textes recèlent les principales thèses de Kant relatives au développement intellectuel et moral de l'humanité, à l'émergence d'un espace de discussion publique et à l'élaboration politico-juridique d'une paix durable entre les hommes, respectueuse de leur diversité culturelle et religieuse.
Ernst Cassirer (1874-1945) fut l'un des principaux acteurs des débats philosophiques et épistémologiques de l'entredeux- guerres en Allemagne. Héritier de la tradition épistémologique kantienne et néo-kantienne, Cassirer fut confronté à une situation épistémologique sans précédent : la pluralisation des géométries montrait que l'idée de connaissance était susceptible de variation dans ses propres modes d'objectivation. Tirant philosophiquement toutes les conséquences de cette situation inédite, Cassirer reconnut l'égale valeur de modes d'objectivation jusqu'alors considérés comme seulement propédeutiques à la connaissance scientifique, tels le langage, le mythe, la technique ou le droit. Il a forgé, avec la notion de « forme symbolique » un outil conceptuel original qui articule sciences de la nature et sciences de la culture en plaçant, au coeur des modes de l'objectivation, la capacité de transformation propre au sens. Il a, ce faisant, déplacé le centre de gravité de la philosophie kantienne du transcendantal au sémiotique.
Héritier de Duns Scot, c'est par le truchement d'une métaphysique réaliste que C.S. Peirce expose son pragmatisme. Il attache par ailleurs autant d'importance au renouvellement de la logique qu'au développement d'une théorie du signe hétérogène à la linguistique saussurienne. Cela lui vaut d'être une référence incontournable dans des domaines aussi différents que la théorie littéraire, l'anthropologie ou le design, ce dont témoignent les différentes publications de ce numéro qui regroupe des présentations générales et des études plus spécialisées. Il comporte également des textes inédits en français, notamment une partie de la correspondance de Peirce avec son éditeur Paul Carus.
Dossier coordonné par Jean-Marie Chevalier. Avec les contributions de F. Bellucci, B. Gaultier, M. Girel, F. Roudaut, C. Tiercelin, des lettres inédites de C.S. Peirce et un entretien avec J. Vogel.
John Dewey (1859-1952) est l'auteur d'une oeuvre considérable qui ne se réduit pas à la pédagogie, même si la problématique éducative constitue le fil conducteur de sa pensée. À l'instar des grandes philosophies modernes, il déploie une ontologie, une logique, une éthique, une esthétique et une politique. Dewey, dès le début du XXe siècle, s'efforce de penser la problématicité du monde lorsque les repères des sociétés traditionnelles et même ceux de la modernité s'estompent. Il milite pour une sécularisation intégrale de la pensée et de la culture, mais sans réductionnisme. Il entend débarrasser la pensée des dualismes qui l'encombrent et s'efforce de proposer une logique d'enquête susceptible de réguler l'autoquestionnement de la société. Il propose une nouvelle vision de l'éducation comme praxis, n'ayant d'autre fin qu'elle-même et définit les principes d'une pédagogie de l'expérience qui soit en même temps une entrée dans la culture. Il élabore un nouvel humanisme fondé sur l'idée d'ouverture de l'expérience, dans une visée de perfectionnement, respectueuse du pluralisme des valeurs. Sa pensée politique récuse le communisme, le capitalisme et la technocratie et esquisse un « libéralisme radical » qui fait retour aux fondamentaux démocratiques du libéralisme politique. Son oeuvre culmine dans la définition d'un bien-vivre qui synthétise le religieux sans la religion et le beau sans les beaux-arts sous les symboles de la grâce et de l'intensité.
Cet ouvrage propose une approche à la fois génétique et structurale de l'ensemble de la philosophie de Dewey et particulièrement des ouvrages majeurs, dont certains n'ont pas encore été traduits en français. Il s'efforce de dissiper quelques malentendus sur le pragmatisme, trop souvent incompris et caricaturé. Il tente un questionnement des textes à partir des préoccupations éducatives et plus largement philosophiques contemporaines. Comment Dewey répond-il aux questionnements d'un monde problématique qui est désormais le nôtre et qu'il avait déjà largement anticipé?