Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire "immigrée" ou "réfugiée". Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d'un pays dont nul n'était censé pouvoir s'échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été "exportés". Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l'étranger.
Comment, en plein coeur de l'Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l'objet d'un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l'innommable : la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs.
Moi qui suis née en France, j'ai voulu retourner de l'autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d'une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d'un obscur passeur, les brûlures d'un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.
Avec internet et le métavers, le capital est en train de réaliser son rêve jusqu'alors impossible d'un imaginaire où tout s'achète. Événement sans précédent, contre lequel nous n'avons pas grand-chose à opposer, si ce n'est d'énigmatiques images en fuite, mues par l'urgence de ne pas se laisser déposséder de leur secret, c'est-à-dire de la part d'ombre dont elles sont porteuses. Afin de recouvrer ce que ce monde est en train de nous voler, il ne tient qu'à nous de recourir à cette vitesse de l'ombre qui ne cesse d'approfondir l'horizon vers l'infini qui nous habite.
Si nous nous encombrons encore de bagages, c'est sans doute qu'ils contiennent les voyages que nous n'avons pas faits. Celui-ci, je l'ai commencé sans savoir où j'allais et je l'ai poursuivi jusqu'à découvrir quelque chose comme la cartographie de nouvelles constellations, dans lesquelles la singularité des désirs rejoint les plus lointains mouvements de l'univers.
Il m'est impossible de croire qu'au plus profond de sa nuit chacun ne possède pas de telles images filantes susceptibles de changer le paysage. Je ne connais pas de meilleure raison pour ne pas en finir de prendre à revers un monde qui, chaque jour un peu plus, oublie le monde.
A. L. B.
Nombreuses sont les lectrices pour qui Colette aura été un modèle, parfois une confidente, souvent même une source d'inspiration sur les voies de l'émancipation et de la création.
Les lettres qu'elles lui adressèrent, leurs innombrables souvenirs et témoignages forment ici la matière d'un portrait inédit de l'écrivaine. Certaines de ces « belles écouteuses » sont restées dans l'ombre de son oeuvre. D'autres sont devenues célèbres, à l'instar de Simone de Beauvoir, qui l'admirait au point d'en faire une source capitale de son essai Le Deuxième Sexe, de Marguerite Yourcenar, de la star Marilyn Monroe, qui possédait ses romans, ou encore d'Audrey Hepburn, qui doit sa carrière à la romancière - sans oublier la jeune Françoise Sagan, enhardie par la prose de son aînée.
Le pouvoir des mots, leur enchantement nourrissent ce vagabondage littéraire ordonné par l'un des meilleurs spécialistes de Colette.
La majeure partie de notre existence se déroule dans un demi-jour discret : actions et pensées qui nous laissent moyennement satisfaits, et que nous gardons souvent pour nous-mêmes. Pourtant, comme dans les fictions que nous aimons, se trouvent des personnages secondaires essentiels, des expériences de la banalité révélatrices, des sentiments ordinaires qui font tout le sel de notre vie intérieure.
À un désir de perfection qui nous aveugle et nous égare le plus souvent, Marina van Zuylen oppose la puissance des vertus minuscules, qui nous obligent à poser un regard bienveillant et nuancé sur nos qualités cachées et nos défauts. Relisant Proust, Tchékhov ou Levinas, au fil d'un récit personnel et émouvant, elle nous accompagne sur le chemin que Samuel Beckett avait décrit avec humour : « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »
Une silhouette en marche, dense à faire éclater les pierres. C'est de cette vision qu'il nous semblait devoir partir, parce que Césaire resta toujours debout : un humaniste d'une curiosité insatiable, qui se méfiait des honneurs et des courtisaneries, mais surtout un poète et un homme politique visionnaire.
Cri de colère autant que d'optimisme, la vie de Césaire est aussi l'affirmation d'une voix singulière : une poésie jaillie des profondeurs, comme une éruption de la montagne Pelée, et indissociable de son engagement dans la vie politique du XX siècle.
C'est de moment en moment que nous avons choisi de dessiner sa trajectoire : celle d'une pensée tendue vers un monde juste et fraternel. Sa négritude est une conquête, une solidarité l'affirmation intransigeante de notre humanité. Elle naît de la même révolte originelle contre le monde tel qu'il est, se nourrit du même désir de mener tous les opprimés, tous les aliénés, « hors des jours étrangers ».
Il dérangea, fascina, exaspéra. Il suscita plus d'articles haineux qu'aucun de ses contemporains. Mais il sut aussi retourner les critiques les plus hostiles et cultiver l'intérêt des commentateurs les plus brillants, à commencer par Barthes, Blanchot et Foucault. Peu suspect de complaisance, Nabokov lui-même tenait La Jalousie pour « le plus beau roman d'amour depuis Proust ».
Étonnamment pourtant, l'oeuvre d'Alain Robbe-Grillet est aujourd'hui moins lue et, alors que l'année 2022 marque le centenaire de sa naissance, aucun travail biographique le concernant n'est encore paru. Aussi ai-je voulu, prenant appui sur les nombreuses archives que l'écrivain a laissées, faire revivre sa figure et, avec elle, l'aventure du Nouveau Roman.
Entouré d'une réputation d'austérité, le Nouveau Roman naît en un temps, à la fois proche et lointain, où les débats littéraires soulèvent de vives passions. C'est une exceptionnelle rencontre de talents, une histoire d'amitiés et de brouilles, de coups d'éclat et de zones d'ombre. J'évoquerai la longue alliance de « Robbe » avec Jérôme Lindon, son amitié avec Jean Paulhan, ses relations changeantes avec Nathalie Sarraute, Claude Simon ou Roland Barthes, ainsi que le couple hors normes qu'il a formé avec Catherine Robbe-Grillet.
Je tenterai aussi de faire revivre l'enfant tourmenté, l'ouvrier du STO, l'ingénieur agronome, le ciseleur de phrases, le sentimental secret, l'éditeur audacieux, le brillant pédagogue et l'infatigable voyageur que fut Alain Robbe-Grillet. Je m'attacherai à cet homme étrange, séparé des autres par ses obsessions singulières. Un personnage infiniment plus complexe que le provocateur médiatique des dernières années. Un auteur majeur qu'il me paraît essentiel de redécouvrir.
B.P.
"S'il émane d'une historienne, l'essai que voici parle de littérature. C'est avant tout le livre d'une lectrice. Lectrice depuis longtemps assidue au tête-à-tête familier et toujours passionnel avec les textes littéraires mais tout à coup renvoyée à sa bibliothèque par un aujourd'hui devenu impitoyable. Il me fallait "tuer le temps".
Les grands textes de fiction inventent leur puissance de vérité propre, y compris historique. Ils figurent des formes et des savoirs du temps, une pensée de l'événement, de l'attente, du recyclage, de la disparition et de la perte ; ils enregistrent, parfois malgré eux, un nécessaire travail du négatif opposé au tropisme progressiste de notre modernité. Ils nous enjoignent non pas seulement de ralentir ou de tourner le dos au "Progrès" - déjà tout un programme ! -, mais bien de réviser nos cadres temporels eux-mêmes. Ce faisant, depuis la Révolution française, les écrivains interrogent affectivement ce que signifie "être contemporain" de son époque ; de quelle façon vivre - ou ne pas - vivre avec son temps.
L'itinéraire de lectures ici présenté est buissonnier et sans aucune ambition systématique, cheminant à sa guise, dans un corpus de livres aimés, romans, récits ou grandes oeuvres de sciences sociales, d'histoire et d'ethnologie. Chaque chapitre ménage une rencontre entre les uns et les autres et révèle des styles de pensée comparables, organisant des constellations d'oeuvres complices. Toutes décrivent magnifiquement une carte des possibles de l'existence. Souhaitons que ce livre, nourri des mille façons de vivre le temps, nous aide à mieux habiter le nôtre."
E.L.
1537. Le conquistador Ferdinand Desoto obtient la direction de la prochaine expédition en Amérique, qui lui apportera, comme à ses guerriers, richesse et gloire. Mais rien n'est joué !
Las, nos cupides chasseurs d'or et de perles, tout droit sortis d'un tableau de Goya, sont attendus par des Indiens dont les habitudes carnassières ne feront pas toujours leur affaire...
De sa plume soigneusement aiguisée, Franzobel raconte la colonisation espagnole du XVIe siècle dans une traversée de l'Amérique aussi pathétique qu'hilarante. Frayant hors des sentiers politiquement corrects et jouant avec la conscience troublée de l'homme occidental, il livre une réflexion morale sur notre époque dans un roman d'aventures inoubliable.
« Nous comptons, si je sais compter sur mes doigts, cinq Daudet qui ont tous du talent comme un seul Alphonse Daudet, et cela me semble vraiment extraordinaire. » Un siècle plus tard, la remarque de la romancière Rachilde laisse rêveur. Cinq Daudet ? L'auteur de La Chèvre de M. Seguin et de Tartarin de Tarascon ne serait donc pas le seul à avoir connu la gloire ? En racontant l'histoire des Daudet, Stéphane Giocanti scrute le mystère d'une famille dont tous les membres ou presque, pendant deux générations, jouèrent un rôle dans la vie littéraire française. Aux côtés d'Alphonse, bohème provençal et parisien, il dévoile la présence de Julia, sa femme, écrivain admirée par Edmond de Goncourt, et celle d'Ernest, son frère aîné, qui fut un historien de renom. À la génération suivante, ce sont les deux fi ls d'Alphonse, Léon et Lucien, qui se fi rent un prénom. Le premier fut écrivain et homme politique, compagnon royaliste de Maurras et mémorialiste truculent de la IIIe République. Le second fut l'opposé : dandy, poète, et amant de Proust et de Cocteau. Le roman de la famille Daudet est aussi l'occasion de vivre avec les milieux littéraires, artistiques et politiques de son temps ; pendant près d'un siècle, de la bohème insouciante du Second Empire jusqu'au début du régime de Vichy, d'un temps lointain, révolu, jusqu'à une époque plus proche, plus violente, dont l'empreinte dure aujourd'hui encore.
Création Studio Flammarion : Illustration originale d'après des photos : © Rue des Archives / Varma ;© Rue des Archives / PVDE ; © Rue des Archives / RDA ; © Photo Josse / Leemage ; © Collection Basile / DR / Opale.
"You are the one for me, for me, for me, formidable..." Mais comment te plaire dans la langue de Molière ?
Prononcer "Je t'aime", est-ce la même chose que dire "I love you"?
L'Américaine Lauren Collins, la trentaine dynamique, ne s'était jamais posé la question avant de croiser, à Londres, la route d'un Français dont elle n'arrive même pas à prononcer le prénom.
Mais ce n'est pas si simple d'aimer dans une langue étrangère. Lorsqu'il lui arrive de ne pas comprendre son amoureux, les doutes l'assaillent : est-ce en raison de la fameuse "barrière" des langues, de leurs cultures que sépare toute la largeur de l'Atlantique ou, plus fondamentalement, de leurs différences de caractère? "Parler anglais avec toi, lui confie un jour Olivier, c'est comme te caresser avec des gants..."
Quand le couple tout juste marié emménage à Genève, Lauren décide d'apprendre le français. Lost in French est le récit tendre et cocasse de cet apprentissage.
Malentendus ubuesques, frustrations en cascade, exil cosmopolite des expatriés... Au terme de ses tribulations, Lauren aura beaucoup appris. Sur elle et sur les autres. Elle aura surtout découvert l'inépuisable joie d'aimer en français...