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Editions Du Sandre
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Pour son quatrième numéro, la revue Jardins a choisi le thème de l'ombre. Cette dimension est rarement prise en compte lorsqu'on visite ou qu'on étudie un jardin, comme si notre oeil était exercé à explorer la dimension «claire» du lieu et à négliger sa face sombre. Or, c'est dans cette dernière que se cache, peut-être, le secret du jardin, sa clé de lecture ou, pour rester dans une thématique chère à la revue, son genius loci. De la même manière, si on a souvent abordé l'art des jardins sous l'angle de la dialectique art/nature, les relations fertiles, tantôt violentes tantôt oues, voire insaisissables, entre l'ombre et la lumière n'ont pas retenu souvent l'attention des historiens ou des philosophes du paysage. La question est d'une grande richesse, y compris sur un plan "politique".
L'ombre que chaque jardin offre à profusion nous semble être devenue un refuge contre la modernité. Son univers - celui des grottes, des bosquets, des nymphées protégés par des frondaisons épaisses - est toujours ambigu, là où l'époque a besoin d'idées aux contours nets; il est évasif, à l'âge de la surexposition ; vide, dans un monde qui a fait de la croissance un culte; silencieux, au milieu du bruit violent de la mégalopole.
Pour explorer ce monde, nous avons donné la parole, comme pour les autres numéros de la revue, à des jardiniers mais aussi à des écrivains, à des artistes, à des historiens de l'art ou des jardins. Le thème est abordé sur un plan historique (par exemple, dans les jardins "à la française"), spirituel (dans le paysage janséniste de Port-Royal des Champs), littéraire (avec des exemples provenant du roman français de la n du XIXe siècle, et de la littérature anglo-américaine, classique et moderne), paysager (dans l'oeuvre de concepteurs de jardins comme Fernando Caruncho ou Louis Benech), comme composante essentielle du paysage méditerranéen, dans le cinéma, dans la photographie, ou à travers l'évocation de jardins comme le Potager du Roi, Val Maubrune ou Monte Caprino.
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Le theme du cinquieme numero de la revue Jardins est le retrait. Terme polysemique, rarement utilise lorsqufon parle dfart du paysage, il nous renvoie pourtant aux racines memes du jardin.
Etymologiquement, les mots qui designent le jardin (le persan pairida.za, et sa traduction grecque, paradeisos, le germanique gart, le latin hortus) definissent un lieu cloture, physiquement separe du monde environnant.
Ce qui caracterise le jardin est donc sa qualite dfespace autre, delimite et separe du dehors, comme lfenclos du sacre lfest de lfespace du profane, ou la salle du theatre du monde á reel â. Faire un jardin, cfest donc faire un pas de cote, se mettre a lfecart et fonder un lieu alternatif, un refuge possible.
Cependant, le jardin nfest jamais tout a fait entierement replie sur lui-meme. Ses clotures sont poreuses.
Si le pairida.za persan, ancetre des jardins dfOccident, est un enclos, il est aussi traverse, comme lfEden de la Bible, par les quatre fleuves qui irriguent la terre et qui prennent leur source en son centre. Ainsi, le jardin devient imago mundi : une image ideale du monde tel qufil devrait ou pourrait etre. Le pairida.za servait dfailleurs a proteger les vegetaux et les animaux rares et precieux provenant de regions lointaines qui etaient reunis dans son enclos.
Le jardin est donc un lieu ferme et, cependant, ouvert sur lfespace environnant. Ferme car separe par une cloture et ouvert car il contient et protege tout ce que le vaste monde recele de plus precieux.
Ce double statut, si singulier, du jardin, stimule et nourrit lfart du paysage. Les solutions qufil offre, allant de la retraite grandiose et publique de Versailles aux á jardins de resistance â de nos jours, sont innombrables. Ainsi, sfil offre aux hommes un lieu de retrait, il se presente egalement comme espace propice a lfutopie.
Cependant, ce qui defi nit lfutopie est sa qualite de lieu hors du reel. Le mot a ete cree par Thomas More, au XVie siecle, a partir du grec ou-topos, á nulle part â, pour designer une ile ideale ou se developpe une societe parfaite, antithetique de lfAngleterre reelle de lfepoque. Le jardin, lui, est un lieu on ne peut plus reel, materiel, a vivre, a respirer, a toucher, a observer, a soigner chaque jour. Une utopie qui trouve lieu ou, comme lfexplique Foucault, une localisation physique de lfutopie (á Des espaces autres â, Dits et ecrits, Gallimard, 1984).
Les exemples sont nombreux : les jardins concus comme lieux ou lfon se retire du monde ; les utopies agricoles ; les enclos jardines dans les hopitaux ou le jardinage devient un outil de soin et de renaissance ;
Les potagers et les vignes ou lfon experimente des pratiques biodynamiques, voire spirituelles, comme celles de Fukuoka et de sa á revolution dfun brin de paille â ; les jardins partages ou lfon reintroduit en contrebande la creativite et la fertilite au coeur meme de la ville moderne. -