Cent ans après la mort de Marcel Proust, le 18 novembre 1922, on n'en finit pas de dénombrer ses contradictions, ses ambiguïtés et ses équivoques. Proust est catholique - « j'aime le catholicisme et je veux l'aimer » - tout en défendant les Juifs ; il se moque de l'antisémitisme, mais fait parfois sien le vocabulaire de Drumont ; se présente comme un « ardent dreyfusard », mais se métamorphose au cours de l'affaire et après son dénouement en un dreyfusard « désenchanté ». S'il condamne le nationalisme de ses amis antisémites comme Léon Daudet ou Maurice Barrés qui taisent sa judéité, il admire sans réserve ou presque leurs oeuvres littéraires. Conservateur dans l'âme, fasciné par l'aristocratie, hostile au socialisme et à toute forme de bouleversement social, il demeure aussi sensible, par « atavisme » familial, à l'univers yiddish ou à certains rituels de la vie juive tout en faisant siens les codes culturels, les croyances et les manières de vivre des salons de la haute société chrétienne. C'est alors l'image d'un Juif non-juif qui se dessine.
Pierre Birnbaum entreprend de raconter et de déplier ces ambiguïtés, en suivant pour la première fois l'immense correspondance de Proust en la replaçant dans son contexte politique - de l'affaire Dreyfus à la loi de séparation de l'Église et de l'État jusqu'à la Première guerre mondiale. Loin des personnages de la Recherche, c'est Proust qui révèle ses partis pris.
Écrire l'histoire du judaïsme, est-ce narrer le récit d'une vallée de larmes?Non répondit longtemps un des plus grands historiens du judaïsme, Salo Baron (1895-1989). Né en Galicie, au sein de l'empire des Habsbourg, invité à enseigner à New York en 1926, il découvrit alors ce qu'il pensait être l'exceptionnalisme américain.Société neuve, les États-Unis n'ont pas connu les Croisades, les affres du Moyen Âge, les malheurs de l'Inquisition, les pogromes de l'Europe de l'Est et de l'empire russe, dont celui de Kichinev en 1903 marqua tous les esprits; ils ont échappé au pire, à l'expulsion des Juifs européens. Baron en est persuadé, les États-Unis démentent à eux seuls ce qu'il appelle «la vision lacrymale de l'histoire», le récit du destin du judaïsme comme la liste ininterrompue des persécutions et des massacres. Tout au plus les Juifs américains se heurtent-ils à des préjugés, à des barrières sociales dans les clubs et les universités, mais jamais à un antisémitisme théorisé en idéologie politique à l'instar de l'Allemagne et de la France.Pourtant, en avril 1913 éclate à Atlanta l'affaire Leo Franck, le lynchage d'un Juif accusé du meurtre rituel d'une jeune fille. Première manifestation d'un antisémitisme de haine qui va éclore jusqu'à nos jours, porté par les suprémacistes blancs. Des centaines de synagogues ont brûlé au cours des décennies, jusqu'au massacre de Pittsburgh en 2018 et aux slogans antisémites lors de la tentative de putsch contre le Capitole en janvier 2021.La romance de l'exceptionnalisme sanctifiée par Salo Baron et à sa suite par les historiens du judaïsme américain se trouve-t-elle ainsi durablement démentie? Est-ce ici aussi le retour de l'histoire lacrymale?
Dans ce portrait passionné et souvent inattendu, Pierre Birnbaum redonne pleinement vie à Léon Blum : le dreyfusard, l'homme de Juin 36 et de ses immenses conquêtes sociales, mais aussi le jeune dandy aux goûts littéraires d'avant-garde, l'homme d'action doté d'un réel courage physique, l'avocat de l'émancipation sexuelle des femmes, l'amoureux aux multiples vies. Il relit aussi ses engagements à la lumière de l'histoire de ces Juifs d'État, « fous de la République », auxquels il a consacré un livre qui a fait date. Figure accomplie de la citoyenneté républicaine, Blum ne renia jamais sa judéité.
Pierre Birnbaum, le théoricien de l'État fort à la française dont il a dessiné l'idéal-type, universaliste et protecteur des minorités, est né en juillet 1940, à Lourdes, quelques jours après l'instauration du régime de Vichy, de parents juifs et étrangers, dans une famille persécutée puis traquée par « l'État français » et par l'Occupant. À l'âge de deux ans, il est confié à une famille de fermiers des Hautes-Pyrénées avec sa soeur à peine plus âgée. Enfant caché, il doit sa survie à des Justes alors que les hauts fonctionnaires du régime de Vichy collaborent à la chasse aux Juifs.
Par un étrange déni, il ne s'était jusqu'ici jamais interrogé dans son travail sur cet « État français » qui a mobilisé tous les moyens pour les traquer, lui et sa famille. Il retrace, dans ce livre émouvant, les années de persécution de son enfance à partir d'archives saisissantes, tant locales que nationales, et se fait l'historien de sa propre histoire. Il pose surtout en des termes nouveaux, depuis le coeur de sa théorie, la question de la continuité entre la République et Vichy. L'État devenu « français » sous la houlette des droites extrêmes, est-ce encore l'État ?
Cet ouvrage d'une force singulière ne manquera pas de susciter le débat sur un pan de notre histoire toujours disputé. Car, conclut Pierre Birnbaum, le fait que les hauts fonctionnaires passés au service de Vichy aient été si peu sanctionnés pour leurs responsabilités dans la persécution et la déportation des Juifs de France reste un héritage lourd à porter. Toutes les conséquences de la leçon de Vichy n'ont pas été tirées.
Au tournant du siècle, en 1898, année de tous les dangers, la société française plonge dans un tourbillon antisémite. Dans les grandes villes comme dans les petites bourgades endormies, des foules en colère se lèvent qui brisent tout sur leur passage, arpentent inlassablement les artères principales en lançant : « À bas Zola ! Mort aux Juifs ! Vive l'Armée ! » ajoutant même parfois : « Vive la République ! » Jour après jour, des milliers de personnes défilent et affrontent durement la police. Les forces de l'ordre quadrillent l'espace urbain, c'est l'état de siège. On brutalise les rabbins et les passants, on attaque les synagogues, on brise les vitres des boutiques, on brûle des mannequins représentant Zola et Dreyfus, on organise le boycott et la délation. L'usage de la violence est constant. Celui de la moquerie, de l'ironie, de la dérision à travers cris, chansons, poèmes parfois rédigés en patois local, saynètes ou charivaris, tout aussi fréquent.
Pogrome sans victimes, ce moment antisémite est longtemps demeuré inconnu : de la Lorraine à la Vendée, en passant par la côté méditerranéenne, ce tour de la France en propose une première recension.
Nil n'ignore plus la différence fondamentale entre le judaïsme de l'Est de l'Europe et celui de l'Ouest.Le premier était une civilisation, irriguant la vie publique et les institutions communautaires; c'est en son sein que naquirent les études juives. Le second, qui bénéficia des Lumières et de l'émancipation politique des Juifs, se marqua longtemps par la mise à distance du judaïsme comme mode de vie intégral.Aussi, lorsque, au cours du XX? siècle, les Juifs acquièrent des positions prééminentes dans les sciences sociales, ils délaissent l'anthropologie, la sociologie ou l'histoire politique des sociétés juives passées ou contemporaines. Pourtant ressurgissent de nos jours, dans les sociétés pluralistes, des tentatives de réinventer un destin collectif, par un effort de désassimilation, comme en écho au judaïsme de l'Est de l'Europe.Ce paradoxe se comprend qu'au prix d'un grand périple dans les sciences sociales occidentales, de l'Allemagne du XIX? siècle aux États-Unis d'aujourd'hui, en passant par la France et la Grande-Bretagne. On voit le chemin chaotique ouvert par Karl Marx, Georg Simmel et Émile David Durkheim - et que prolongent Raymond Aron, Hannah Arendt, Isaiah Berlin et Michael Walzer - croiser celui que parcourent, de leur côté, Heinrich Graetz, Simon Doubnov, Salo Baron et aujourd'hui Yosef Hayim Yerushalmi. Par beaucoup d'aspects, les études juives contemporaines se présentent comme les héritières de ces géants confrontés, au siècle passé, aux expressions les plus contrastées des Lumières comme des contre-Lumières.
Les importantes mobilisations catholiques des années récentes à l'encontre du mariage pour tous, de la procréation assistée ou de la question du genre propulsent soudain au premier plan de la société des enjeux culturels qui évoquent les conflits liés à la sécularisation mise en oeuvre par la Troisième République. La remise en question de la neutralité de l'espace public tout comme l'expression abusive de « communautés imaginées » de toutes sortes provoquent le renouveau d'affrontements culturels inédits propices à tous les dérapages.
Lorsqu'en janvier 2014 éclate la manifestation « Jour de colère », comme autrefois mais dans un contexte de grande faiblesse de l'État, les citoyens juifs sont, à nouveau, souvent désignés comme responsables de la dénaturation de la société française. Les funestes « La France aux Français », les « Mort aux Juifs ! » accompagnés de slogans révisionnistes ou anti-israéliens se font entendre dans les rues de Paris. « Jour de colère » révèle une alliance incertaine qui se noue entre catholiques intransigeants, extrême droite nationaliste et certains jeunes issus fréquemment de l'immigration nord-africaine dans une commune détestation des Juifs considérés comme pervertisseurs de la nation et oppresseurs des peuples.
En cette fin de xviiie siècle, les Lumières à la française magnifient l'idée de régénération. En s'en emparant, l'utopie révolutionnaire a voulu rejeter les valeurs anachroniques du passé. Or, cette aspiration à l'invention d'un homme nouveau tourné vers la Raison trouve une de ses premières formulations dans le fameux Essai sur la régénération physique morale et politique des Juifs de l'abbé Grégoire, rédigé à l'occasion du concours de l'Académie de Metz, en 1787. Grégoire, favorable à l'émancipation des Juifs, soutient que celle-ci doit passer par l'oubli des rêveries talmudiques et des traditions qu'il juge burlesques. Au même moment, rien de tel n'est exigé des protestants par les philosophes qui défendent leur pleine entrée dans la cité ni des Noirs des colonies pour lesquels ils réclament la fin de l'esclavage.
Ce concours marque donc un moment unique dans l'histoire de la France moderne. Pourtant, à l'exception du texte publié de l'abbé Grégoire, sans cesse lu et commenté, on ignorait presque toutdes manuscrits déposés par les autres candidats, et même de la première version de celui de Grégoire. Pierre Birnbaum a eu l'idée de les rechercher aux archives de Metz et de Nancy. Les voici enfin publiés dans leur intégralité.
Leur mise au jour et leur comparaison systématique dans le présent ouvrage opèrent comme un révélateur : la question de l'entrée dans l'espace public des Juifs apparaît comme le symbole d'une difficile relation entre citoyenneté et pluralisme culturel, qui hante jusqu'à nos jours la société française.
Le recrutement des nouvelles élites de l'État semble évoluer de manière accélérée. Les hauts fonctionnaires sont de plus en plus souvent passés par HEC ou l'ESSEC, avant ou après l'ENA. Certains d'entre eux quittent provisoirement le service de l'État pour rejoindre des grandes entreprises, des banques ou des cabinets de conseil, comme l'illustrent le parcours d'Emmanuel Macron lui-même et celui de plusieurs des membres de son cabinet. Les députés de la nouvelle Assemblée sont, eux aussi, en grand partie issus du monde de l'économie (plutôt qu'enseignants, journalistes ou avocats comme par le passé). Dès lors pèse le soupçon d'une collusion croissante entre ces diverses élites. Une « oligarchie » a-t-elle pris en main la direction de l'État, comme le soutiennent divers populismes ?
Données quantitatives à l'appui, Pierre Birnbaum, sociologue et historien de l'État, propose une enquête d'une grande précision qui révèle une réelle transformation des élites du pouvoir dans les années 2000. Mais, loin des caricatures, il montre que l'État à la française acquis aux méthodes de gestion du privé n'en résiste pas moins, et que la majorité de ses serviteurs, grands ou petits, lui reste fidèle.
À quoi sert de s'interroger sur la nature de la citoyenneté aux États-Unis et en France à partir de l'exemple des Juifs? À penser à nouveaux frais la question du rapport entre la religion et l'espace politique en Occident.
La Révolution française, on le sait, prolongeant l'action de l'État fort, construit un espace public qui s'efforce de laminer toutes les formes d'appartenance identitaire en cantonnant celles-ci au seul espace privé. L'intégration des Juifs français leur permet l'accès aux sommets de l'État, selon une mobilité vers l'élite politico-administrative sans égale dans l'Histoire, mais suscite à leur encontre un antisémitisme politique neuf, de l'Affaire Dreyfus à Vichy.
Les Juifs américains, on le découvrira dans cet ouvrage d'une richesse d'information peu commune, ne connaissent en rien ce brillant destin public : dans une société à État faible, leur émancipation formelle et la reconnaissnace de la pérennité de leur culture, conquises dès la Révolution, ne valent qu'à l'échelle de l'État fédéral. À partir des années trente, le New Deal et sa logique de nationalisation de la société font que désormais les lois fédérales s'appliquent au niveau des États : des Juifs rejoignent le pouvoir politique dénoncé dès lors comme un 'Jew Deal'. Plus tard, dans les années soixante, quelques juges juifs de la Cour suprême contribuent grandement à la sécularisation de la nation chrétienne, provoquant, comme en France, de vives réactions antisémites.
L'exemple des Juifs permet donc de camper deux grands modèles de rapports du politique au religieux : l'émancipation à la française ouvre la porte de la citoyenneté dans l'espace public sécularisé en ignorant toute identité autre que nationale ; l'émancipation à l'américaine se révèle davantage propice à l'épanouissement des identités religieuses qu'à leur entière reconnaissance comme citoyenneté. Les promesses des 'deux maisons' sont distinctes et les désillusions dissemblables.
L'antisémitisme en france est une tradition double.
Il dénonce, comme dans les autres pays, l'argent, le nomadisme, les perversions sexuelles, le cosmopolitisme supposés des juifs. cet antisémitisme a trouvé son héraut en la personne d'edouard drumont, auteur de la france juive (1886), qui eut jusque de nos jours d'innombrables émules.
Mais la france est un pays d'etat fort. la révolution, par le même mouvement oú elle fonda la toute-puissance de l'etat, émancipa les juifs.
La république ne voulait plus connaître que des citoyens, égaux devant la loi, dont la promotion serait l'oeuvre de leurs seuls mérites, mais qui devraient, en contrepartie, refouler hors de la sphère publique, dans la stricte intimité de leurs convictions personnelles, leurs particularismes culturels, linguistiques, religieux. nombre de juifs, acceptant le cadre particulier du franco-judaïsme, bénéficièrent en retour de l'émancipation par l'etat, par le haut fonctionnariat et le service public.
L'antisémitisme traditionnel s'en prenait au juif de cour -suspecté de fomenter en coulisse les plus noirs complots. désormais, l'antisémitisme politique, appelant à rompre le pacte républicain et à abattre l'etat lui-même, dénoncera le juif d'etat - accusé de liquider les intérêts d'une vraie france éternelle. au mythe de la " france juive " répond en d'autres milieux celui de la " république juive ".
Telles sont quelques-unes des grandes analyses neuves que développe, dans une perspective politique, pierre birnbaum, à partir notamment d'un vaste matériau historique original.
En septembre 1669, raphaël lévy se rend à metz pour y acheter un shofar et du vin pour célébrer, le lendemain soir, le nouvel an juif. ce même jour, à glatigny, petit village situé sur la route qui mène de boulay à metz, mangeotte villemin s'aperçoit de la disparition de son fils, le petit didier le moyne, âgé de trois ans. un cavalier affirme avoir vu raphaël lévy portant un enfant sous son manteau. tout s'éclaire : les juifs ont enlevé un enfant chrétien pour célébrer leurs fêtes. l'accusation de meurtre rituel surgit ainsi en france, au moment même où s'achève la chasse aux sorcières.
Dans une lorraine des frontières, au statut politique incertain, traversée sans cesse par des guerres et des famines, le mythe réapparaît intact, alimenté par une contre-réforme militante. au terme d'un long procès, dont les pièces sont pour la première fois ici présentées de manière exhaustive, durant lequel défile une pléiade d'habitants, on s'immerge dans une culture locale faite, en dépit de liens étroits de sociabilité, de préjugés et de fantasmes suscités par une population juive fidèle à ses rituels et à ses valeurs. non seulement les juifs sont supposés tuer de jeunes enfants pour s'emparer de leur sang, mais ils s'en prendraient également, le vendredi saint, au cours de cérémonies sataniques, à la sainte hostie.
Raphaël est soumis aux tortures les plus effroyables avant d'être conduit au bûcher. l'etat, qui protège fréquemment ses juifs, intervient trop tardivement, louis xiv parvenant seulement à faire libérer les autres juifs emprisonnés. en ce grand siècle où s'affirment la raison et la science, un vent de folie s'est brutalement abattu sur metz. puis c'est un long silence : il faudra attendre l'affaire dreyfus pour que l'affaire raphaël lévy resurgisse, avant de s'effacer à nouveau de la mémoire collective.
Professeur émérite de science politique à paris-i, membre de l'institut universitaire de france, pierre birnbaum enseigne actuellement à new york. il est l'auteur de nombreux ouvrages, parus chez fayard, relatifs à l'etat et aux juifs en france depuis deux siècles (la république juive ; les fous de la république ; le moment antisémite ; l'aigle et la synagogue).
Réimpression d'un ouvrage publié au Seuil en 1993, augmenté d'une conclusion.
Au cri de « La France aux Français ! », les nationalistes dénoncent à la fois la République,
considérée comme étrangère à « l'âme » française, et ses alliés : les juifs, les francs-maçons, les
« métèques ». Refus de l'Autre et rejet de la démocratie parlementaire nourrissent ainsi les
slogans, la littérature, les programmes politiques du nationalisme.
L'auteur ajoute une conclusion concernant l'antisémitisme contemporain et la présence de Jean-
Marie Le Pen au second tour des dernières élections présidentielles.
Un ouvrage de référence sur le nationalisme en France.
L'antisémitisme en france est une tradition double.
Il dénonce, comme dans les autres pays, l'argent, le nomadisme, les perversions sexuelles, le cosmopolitisme supposés des juifs. cet antisémitisme a trouvé son héraut en la personne d'edouard drumont, auteur de la france juive (1886), qui eut jusque de nos jours d'innombrables émules.
Mais la france est un pays d'etat fort. la révolution, par le même mouvement où elle fonda la toute puissance de l'etat, émancipa les juifs. la république ne voulait plus connaître que des citoyens, égaux devant la loi, dont la promotion serait l'oeuvre de leurs seuls mérites, mais qui devraient, en contrepartie, refouler hors de la spère publique, dans la stricte intimité de leurs convictions personnelles, leurs particularismes culturels, linguistiques, religieux. nombre de juifs, acceptant le cadre particulier du franco-judaïsme, bénéficièrent en retour de l'émancipation par l'etat, par le haut fonctionnariat et le service public.
L'antisémitisme traditionnel s'en prenait au juif de cour _ suspecté de fomenter en coulisse les plus noirs complots. désormais, l'antisémitisme politique, appelant à rompre le pacte républicain et à abattre l'etat lui-même, dénoncera le juif d'etat _ accusé de liquider les intérêts d'une vraie france éternelle.
Au mythe de " la france juive " répond en d'autres milieux celui de " la république juive ".
Telles sont quelques-unes des grandes analyses neuves que développe, dans une perspective politique, pierre birnbaum, à partir notamment d'un vaste matériau historique original.
Pierre birnbaum est professeur de sciences politiques à l'université paris 1.
Priez pour le roi, l'empereur, l'Etat, c'est à chaque fois le bénir en espérant sa protection. C'est estimer que seule cette alliance peut protéger de la vindicte populaire qui verserait aisément dans l'antisémitisme. Contre les pogroms, les exactions constantes, bien des Juifs s'en remettent ainsi traditionnellement à l'alliance royale, en dépit de sa dimension mythique puisque le roi, l'empereur ou même l'Etat s'associent parfois, en réalité, aux menées antisémites.
Dans ce livre, Pierre Birnbaum publie un grand nombre de ces prières inédites, de ces odes, de ces hymnes récités avec ferveur, de Louis XIV à nos jours. Les prières en faveur des Bourbons surprennent pas la passion qui s'en dégage de même que celles, innombrables, en faveur de Napoléon Bonaparte, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe ou de Napoléon III. L'avènement de la Révolution française, la révolution de 1848 et surtout, de la IIIe République remettent pourtant en question l'alliance royale : dorénavant, c'est pour la nation, le peuple et la république que l'on prie, en dépit, à nouveau, de bien des désillusions.
Dans le difficile contexte contemporain où ressurgissent les menaces, nombre de Juifs s'engagent dans la recherche d'une alliance horizontale malaisée et cependant indispensable du fait du recul contemporain de l'Etat-Nation, à l'heure aussi de la construction européenne.
On sait quelle oeuvre pionnière a accomplie la Révolution française en établissant une stricte égalité juridique entre tous les hommes, en donnant aux protestants et aux Juifs la totalité de leurs droits civiques, et le Code civil, promulgué en 1804 par l
Changeantes, entre tant d'errances et tant de patries farouchement revendiquées. A partir de traces diverses d'histoire juive saisies dans le passé parfois le plus lointain, parfois dans le présent de sociétés multiples, c'est de l'incertitude, du risque auxquels les juifs se trouvent fréquemment confrontés en tant qu'acteurs dont il est question dans ce livre, de la manière dont ils " dansent " sur la corde raide (Kafka) et s'efforcent à chaque fois de trouver un équilibre précaire entre des impératifs et des aspirations compatibles ou souvent contradictoires. Le lecteur trouvera dans cet ouvrage une réflexion d'ensemble, construite à partir d'analyses historiques souvent comparatives, sur les divers chemins empruntés par les juifs au cours de leur émancipation comme dans les sociétés contemporaines durant lesquels ils ont fait face à de multiples types de pouvoir et tenté de construire des " domiciles " (Yerushalmi) précaires ou, au contraire, durables.
L'histoire politique des Juifs de France s'inscrit tout entire dans un balancement entre le civique et le civil, entre l'espace public et l'espace priv, entre la citoyennet rpublicaine et l'attachement des valeurs spcifiques, entre le bonheur public et le bonheur priv. Elaborant une « conception enchante de la Rvolution », la plupart se sont montr des patriotes sourcilleux, entirement dvous la Rpublique dont le modle attira longtemps de nombreux immigrants. Dus sinon trahis par les multiples guerres franco-franaises, de nombreux Juifs se sont loigns du mythe rpublicain en cherchant redfinir une identit collective.
Cette recherche a t facilite par le recul contemporain du jacobinisme autorisant l'expression des diffrences et la naissance d'une citoyennet plurielle. La renaissance actuelle d'une conscience identitaire provient galement, de l'affaire Dreyfus au Front national, de l'panouissement d'un antismitisme exacerb, devenant de nos jours, aprs Carpentras, presque lgitime. L'identit politique des Juifs de France, hier comme aujourd'hui, se construit toujours entre l'universalisme et le particularisme : c'est cette perspective novatrice qui guide la recherche collective prsente dans ce livre.
Ont contribu cet ouvrage : Michel Abitbol, Phyllis Cohen Albert, Chantal Benayoun, Pierre Birnbaum, Jean-Marc Chouraqui, Richard I. Cohen, Alain Dieckhoff, Nancy L. Green, Paula Hyman, Philippe Landau, Catherine Nicault, Laurence Podselver, Aron Rodrigue, Dominique Schnapper, Sylvie Strudel, Pierre-Andr Taguieff.
Au tournant du siècle, en 1898, année de tous les dangers, la société française plonge dans un tourbillon antisémite. Dans les grandes villes comme dans les petites bourgades endormies, des foules en colère se lèvent qui brisent tout sur leur passage, arpentent inlassablement les artères principales en lançant : "A bas Zola ! Mort aux Juifs ! Vive l'Armée !" ajoutant même parfois: "Vive la République !" Jour après jour, des milliers de personnes défilent et affrontent durement la police. Les forces de l'ordre quadrillent l'espace urbain, c'est l'état de siège. On brutalise les rabbins et les passants on attaque les synagogues, on brise les vitres des boutiques, on brûle des mannequins représentant Zola et Dreyfus, on organise le boycott et la délation. L'usage de la violence est constant. Celui de la moquerie, de l'ironie de la dérision à travers cris, chansons, poèmes parfois rédigés en patois local, saynètes ou charivaris, tout aussi fréquent.
Pogrome sans victimes, ce moment antisémite demeure inconnu : ce tour de la France en propose une première recension. Une fois quitté Paris, le voyage s'organise autour de deux cercles de rayon inégal, l'un plus proche du centre, de Bourges à Lyon, Le Puy, Rodez, Périgueux, Limoges et Guéret, pivotant autour de Clermont-Ferrand ; l'autre, plus vaste, mène lentement de la Lorraine à la côte méditerranéenne, du Sud-Ouest à la Vendée, de la Bretagne à la Normandie.
Professeur à l'université de Paris-I, membre de l'Institut universitaire de France, Pierre Birnbaum a publié dans la même collection Un mythe politique : le "République juive" (1988) et Les Fous de la République (1992). Il a dirigé par ailleurs La France de l'affaire Dreyfus (1994).