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Marcel Schwob
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En 1212, huit ans environ après l'échec de la quatrième croisade, l'Europe fut parcourue par un immense cortège de très jeunes gens, qui spontanément avaient tout quitté pour aller délivrer Jérusalem. On sait peu de choses de ce mouvement populaire, parti de France et d'Allemagne, qui impressionna ses contemporains par son ampleur.
Sans moyens ni soutiens du pouvoir royal ou pontifical, la croisade n'atteignit jamais son but, même si la légende veut qu'une partie au moins des aspirants croisés parvinrent jusqu'à Marseille - où ils embarquèrent pour ne plus revenir.
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On peut dire que les travaux entrepris jusqu'à présent pour étudier l'argot ont été menés sans méthode.
Le procédé d'interprétation n'a guère consisté qu'à voir partout des métaphores. ce procédé nous paraît avoir méconnu le véritable sens des métaphores et de l'argot. les métaphores sont des images destinées à donner à la pensée une représentation concrète. ce sont des formations spontanées, écloses le plus souvent chez des populations primitives, très rapprochées de l'observation de la nature. l'argot est justement le contraire d'une formation spontanée.
C'est une langue artificielle, destinée à n'être pas comprise par une certaine classe de gens. on peut donc supposer a priori que les procédés de cette langue sont artificiels.
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La récente publication de la passionnante biographie de sylvain goudemare, marcel schwob ou les vies imaginaires (le cherche-midi, 2000) a incontestablement marqué un " retour " à schwob - salué naguère par borges comme l'un des astres majeurs de notre littérature.
Le même goudemare rassemble ici, en quelque mille pages, l'essentiel des livres qu'a laissés le grand enchanteur : coeur double, le roi au masque d'or, mimes, le livre de monelle, la croisade des enfants, spicilège, vies imaginaires. sans compter les admirables textes consacrés à la redécouverte de villon, aux plaisirs érudits de l'argot - et à maints autres sujets délectables. découvreur de stevenson - dont il fut presque l'égal -, traducteur de shakespeare et de def?, schwob est surtout un conteur de génie qui s'entend comme aucun autre à mélanger histoire et fiction : nul doute qu'il serait devenu, si la mort ne l'avait fauché en pleine jeunesse, une sorte de " borges à la française ".
Il s'est contenté d'être, en notre langue, le plus sûr rival de schéhérazade.
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De Borges à Pierre Michon, nombreux sont les auteurs qui, au XXe siècle, ont écrit à l'enseigne des Vies imaginaires. Au gré de sa fantaisie et de son érudition, Schwob réinvente dans ce livre unique le genre de la biographie, croquant par le menu une vingtaine de personnages, illustres ou méconnus, de l'Antiquité au milieu du XIXe siècle : l'acteur Gabriel Spenser, les assassins Burke et Hare, la «matrone impudique» Clodia, le «pirate illettré» Walter Kennedy, le «poète haineux» Angiolieri... Une délicieuse série de tableaux, dont Colette, s'adressant à Schwob, dira : «J'ai ici tes admirables Vies imaginaires, heureusement, et la perfection irritante de quelques-unes me fait mal dans les cheveux et des picotements dans les mollets. Tu ne connais pas ça, qu'on ressent en lisant quelque chose qui vous plaît trop ?»
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Si Marcel Schwob se réclame de l'oeuvre de François Villon, il porte une admiration, toute aussi grande pour cette autre figure singulière de la littérature, François Rabelais. Son lyrisme, la musique de ses mots, ses plaisanteries érudites le ravissent. Au cours des essais consacrés à l'auteur de Gargantua, réunis ici dans un même recueil, Schwob, tel un archiviste, se plaît à rappeler l'attachement qui lie François Rabelais au parlé populaire. L'attrait de Rabelais pour un pittoresque teinté de «mots étranges et colorés» lui permet de s'affranchir de tout pédantisme et de satisfaire son goût pour les formes du langage, les jeux de mots, les sonorités et les incongruités qui en découlent. Rabelais en Angleterre révèle l'aura de cet esprit érudit et malicieux, dont on retrouve les traces chez nombre d'écrivains, tels Shakespeare, Nashe ou Swift.
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Ce classique de la littérature «fin de siècle» a inspiré Les Nourritures terrestres de Gide. Les paroles de Monelle, la femme-enfant, sont un appel à sortir du temps, à jouir du moment. Tout détruire, tout oublier sont les conditions d'une vie nouvelle.
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Trois ans séparent Coeur double, recueil de contes à l'humour grinçant, du poétique et prophétique Livre de Monelle : par-delà leur différence de ton, ces deux oeuvres incarnent le goût de Marcel Schwob pour le mystère irréductible de l'être. Dans chacun des récits qui composent Coeur double (1891), cet écrivain inclassable - dont la légende dit qu'il avait horreur des miroirs - met en scène un personnage aux prises avec un étrange et épouvantable double surgi du réel... À cette galerie de portraits grotesques succède, dans Le Livre de Monelle (1894), un unique personnage, celui d'une petite prostituée : Monelle livre sa sagesse au narrateur avant de céder la parole à ses onze soeurs - l'égoïste, la Voluptueuse, la Perverse, la Fidèle, l'Insensible...-, et de disparaître dans la nuit. Évoquant tout à la fois les Psaumes et Les Nourritures terrestres de Gide, Le Livre de Monelle constitue, selon Maurice Maeterlinck, «les pages les plus parfaites qui soient dans notre littérature, les plus simples et les plus religieusement profondes qu'il nous ait été donné de lire».
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«Le coeur de l'homme est double ; l'égoïsme y balance la charité ; la personne y est le contrepoids des masses ; la conservation de l'être compte avec le sacrifice des autres ; les pôles du coeur sont au fond du moi et au fond de l'humanité. Ainsi l'âme va d'un extrême à l'autre, de l'expansion de sa propre vie à l'expansion de la vie de tous. Mais il y a une route à faire pour arriver à la pitié, et ce livre vient en marquer les étapes.»
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" d'abord il s'était intéressé à l'art, mais seulement à l'art qui semblait ne relever d'aucune école.
Ainsi il avait commencé par admirer une demi-douzaine de peintres, les uns inconnus ; d'autres d'on ne connaissait qu'un tableau ; d'autres encore comme le maître des demi-figures, dont nous ne possédons même pas le nom. il savait qu'en faisant jouer un ressort derrière l'un des tableaux de la grande salle du musée de haarlem, sous le panneau de la confrérie saint-jean de jérusalem, une petite porte s'ouvre, comme enchantée, et que dans une chambre secrète on aperçoit une merveilleuse sainte cécile.
Il connaissait à paris une descente de croix de wohlgemuth, deux portraits de cranach, un de fra filippo lippi, mais n'en partageait la vue qu'avec leurs possesseurs. dans certaines chapelles d'allemagne il était seul à avoir découvert la main de schoorl ou de schaüffelin sur des retables que personne n'a regardés depuis quatre cents ans. malheureusement, un à un, on violait ses secrets ; de curieux voyageurs, des savants sur une piste, des catalogueurs de musée, révélaient au public ce que cyprien s'était cru seul à adorer.
".
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Dans des temps très anciens, historiques - mais de quelle histoire : la nôtre, occidentale et féodale, celle de la Grèce préclassique, celle de l'Extrême-Orient bouddhique ? -, ou légendaires - mais de quelles légendes : la Table Ronde, Homère ou Eschyle, le Lotus d'or ? -, un roi masqué accède à la douloureuse conscience de sa condition, se découvre lépreux, se mutile comme Oedipe, meurt guéri sans le savoir. A l'époque contemporaine de l'auteur (vers 1890), celui-ci a fait la rencontre d'une fillette-fée, enfantine et séductrice, qui disparaît un jour sans crier gare, au pays des rêves bleus.
Rien de plus opposé, en apparence, que le climat et même l'esthétique de la courte nouvelle et du conte bref proposés ici. Ce qui les réunit pourtant, c'est l'excessive minutie de l'évocation, que Marcel Schwob, érudit symboliste et prosateur d'une singulière audace, met paradoxalement au service d'une passion pour l'insolite et le mystère présents aussi bien dans le mythe que dans la plus quotidienne réalité.
Edition commentée par Maurice Mourier.
Texte intégral.