Commencé pendant leur voyage de noces et publié en 1914, Les Vierges sages est une autobiographie romancée et sans complaisance de la cour douloureuse que Leonard Woolf a faite à Virginia Stephen, sur fond de satire acide d'une société anglaise conformiste qui se plaît au canotage et aux fêtes de charité au bord de la Grande Guerre. Étudiant des Beaux-Arts, fils de famille, Harry, jeune juif névrosé de la banlieue londonienne, qui rêve d'une vie entièrement transformée, hésite entre deux jeunes femmes : Gwen, douce et belle, conventionnelle à souhait, et Camilla, l'intellectuelle excentrique et riche. Le livre se conclut sur une défaite inéluctable, à laquelle assiste le lecteur impuissant. Il s'agit du second (et donc dernier roman) de l'éditeur essayiste et futur conseiller politique du Labour Party Leonard Woolf. La crudité des sentiments et des jugements anticonformistes est servie par l'invention du « discours intérieur » - avant le Joyce d'Ulysse, et avant Virginia Woolf : en 1912, elle n'a encore rien écrit de consistant.
Le Village dans la jungle est un livre très particulier, qui procède à la fois de la littérature anglaise, bien entendu, mais aussi d'une certaine façon de la littérature cinghalaise. On ne trouvera pas là un exotisme facile, quelque féerie cinghalaise dont furent si friands les voyageurs. Il s'agit d'une tragédie qui se déroule dans un cadre lointain certes, mais dont les acteurs sont authentiques et on ne pourra qu'être frappé par la vérité poignante du récit conduit par un auteur qui a parfaitement assimilé une culture, une pensée, une langue même qui ne sont pas les siennes. La jungle est au coeur du roman. "La jungle et les hommes qui vivaient dans les villages de la jungle me fascinaient", dira plus tard Leonard Woolf. "Quand je quittai Ceylan, cela obsédait ma mémoire et mon imagination et c'était, en quelque sorte, le sujet du livre. Plus on est dans la jungle, plus on a tendance à la sentir personnifiée, comme quelque chose ou quelqu'un d'hostile et de dangereux." Le village dans la jungle parvient, aujourd'hui comme hier, à communiquer à ses lecteurs cette passion, cette obsession, cette fascination de la jungle.
Cette traduction d'un ouvrage jusque-là inédit en français participera à la reconnaissance de l'importance qu'a eue Leonard Woolf dans l'existence de son épouse brillante et tourmentée. En effet, comme l'a déclaré son neveu Cecil Woolf, avec qui il a beaucoup collaboré, « sans lui, [Virginia] n'aurait pas vécu assez longtemps pour écrire ses chefs-d'oeuvre ».
Leonard est en effet le seul à avoir identifié la maladie de Virginia Woolf comme une psychose maniaco-dépressive, diagnostic révolutionnaire à l'époque, avec comme symptôme ses pulsions suicidaires. On en apprend beaucoup sur ses basculements dans la folie, sa violence (parfois même envers lui) ou son anorexie - il passait des heures à essayer de la faire manger.
En dépit de ce contexte tragique, marqué par le spectre de la folie et de la mort, Ma vie avec Virginia est un livre qui, paradoxalement, fait du bien. Leonard Woolf, Juif athée assumé et penseur politique moderne, se révèle comme une personnalité très attachante et pleine d'humanité - en deux mots, un homme bon.