Le terrorisme ne porte pas seulement en puissance la destruction de notre monde, mais aussi celle de notre pensée. S'il constitue un défi pour le sens commun que nous conférons à la politique, c'est parce que son but n'est pas uniquement de réduire à l'impuissance les sociétés menacées par cette nouvelle forme de violence, mais de susciter le désarroi mental et psychologique des membres de celles-ci et de tous ceux qui sont pris dans sa logique que ce soit à titre d'acteurs, de spectateurs ou de victimes. Ce que l'on a appelé la « petite guerre », par opposition à la guerre classique et noble, ne se contente pas de faire périr des vies et des biens, mais vise à engourdir notre sens politique. Le terrorisme contemporain nous pose problème, et particulièrement le terrorisme islamiste. On peut chercher à « démythifier Al-Qaïda » et arguer que les « Tigres noirs » tamouls commettent aussi des attentats-suicides, néanmoins, à l'heure actuelle aucune forme de terrorisme n'a autant qu'Al-Qaïda la puissance d'engendrer la peur.
Au lieu de nous réveiller de notre somnolence, nous préférons bien souvent le déni de cette réalité, car sa prise en compte semble toujours suspecte de collaboration avec la police et de justification d'un discours sécuritaire. Pourtant quelque bonne intention qui anime un déni, c'est toujours un déni. Echapper à ce déni requiert une relecture de l'histoire des guerres et des révolutions, des idées nihilistes et anarchistes, et un éclairage psychanalytique du déferlement contemporain de la pulsion de mort.
Maître de conférence en philosophie à l'université de Paris-Sorbonne, Hélène L'Heuillet est psychanalyste et membre de l'Association lacanienne internationale. Elle a obtenu, pour son livre Basse politique, haute police (Fayard, 2001), le prix Gabriel Tarde de l'Association française de criminologie.
La police est un élément de la politique devenue rationnelle, mais elle n'est pas une forme de gestion ni même seulement une administration. Occupée de « tout ce qui ne va pas », la police est au contraire une sorte de résidu de la politique devenue rationnelle. Mais plus l'emprise du rationnel s'étend, plus ce qui ne va pas est multiforme, et plus la tâche de la police est indéterminée. Par là même, sa fonction est de composer : basse politique, elle ne l'est pas au sens d'une politique appliquée, mais d'une politique qui compose avec les circonstances.Chargée de réaliser les conditions effectives de la politique, elle est un savoir et une intelligence de l'Etat. Elle doit prévoir, anticiper, protéger le politique en lui évitant les mauvaises surprises venues de la société. Si une telle fonction semble, du point de vue descriptif, correspondre à l'activité de renseignement, de collecte d'informations, voire de surveillance secrète de l'opinion publique, c'est que celle-ci est apparue comme fondatrice de la police dès la lieutenance de Paris. Dès cette époque, en effet, la police, créée par Louis XIV, est bien autre chose que la garde ou l'espionnage, mais une véritable clinique de la société, attentive à ses humeurs, proche de ses sentiments, instruite de tout ce qui s'y passe.Agrégée et docteur de philosophie, enseignante d'IUFM, Hélène L'Heuillet est chargée de cours à l'université de Paris-X-Nanterre.