Autant vous prévenir : Jacques le fataliste est un texte singulier. L'homme de l'Encyclopédie et du Supplément au voyage de Bougainville, Diderot donc, y narre les aventures de Jacques, flanqué de son maître, tous deux discutant en cheminant, et inversement... Mais ce qui est étrange, c'est qu'on ne sait pas où ils vont ni qui ils sont, et que leur dialogue s'interrompt sans cesse, incluant à tout moment un intervenant de passage, voyageur, hôtesse, chirurgien... et même vous, lecteur, qui passez par là ! Au sein de cette polyphonie joyeuse, on apprend beaucoup, car Diderot émaille son récit de thèmes tant philosophiques que littéraires, prônant magistralement la liberté comme voie d'accès au bonheur.
Après un développement sur le mouvement des Lumières, l'accompagnement critique s'attache aux particularités de l'oeuvre : le mélange des registres, le roman à tiroirs, l'ironie, les approches philosophiques ou picaresques... Un résumé de la structure de Jacques le fataliste permet de rendre claire l'alternance entre récit central et récits enchâssés. Un groupement de textes travaille sur un topos romanesque : l'entrée dans la troupe des brigands.
Roman (XVIIIe siècle) recommandé pour les classes de lycée.
Texte intégral.
« Je me suis moins proposé de t'instruire que de t'exercer. » L'aveu liminaire des Pensées sur l'interprétation de la nature dévoile en partie le projet philosophique de Diderot, en même temps que sa relation au lecteur. Son propos n'est pas d'ordonner le monde, mais d'en refléter le caractère ondoyant, insaisissable. Si le réel, « cet immense océan de matière » où les formes apparaissent et se défont sans cesse, échappe à l'emprise de la raison, alors il faut, pour l'approcher au plus près, inventer une écriture capable de saisir la diversité de l'être. Diderot écarte l'idée même d'un savoir achevé, qui impliquerait l'existence d'un entendement divin. Il récuse tour à tour l'abstraction métaphysique et la philosophie rationnelle, qui méconnaît la sensation. Sa démarche est fondée sur l'observation des faits et l'enchaînement des conjectures. Vouée à l'incertitude, elle n'en poursuit pas moins sa quête interminable : elle « ne sait ni ce qui lui viendra, ni ce qui ne lui viendra pas de son travail ; mais elle travaille sans relâche ». Le sens se dérobe sous « la multitude infinie des phénomènes de la nature ». Comprendre, c'est encore interpréter. Le sujet lui-même se démultiplie - « naître, vivre et penser, c'est changer de forme » -, au point de disparaître - « Je suis transparent », déclare le Philosophe à la Maréchale - sous la superposition des discours : traductions, lettres, essais, dialogues, réfutations... Pas plus que Diderot ne se reconnaît dans son portrait par Van Loo, les oeuvres philosophiques ne font système. Elles tentent inlassablement de capter, dans un jeu de miroirs, une vérité partielle, éclatée. De Pascal à Rousseau en passant par Helvétius, l'auteur se définit en se confrontant ; il multiplie les masques - tour à tour d'Alembert ou Sénèque -, les emprunts, les citations ; touche-à-tout insatiable que la postérité n'a eu de cesse de réduire à telle ou telle de ses figures successives : sceptique, athée, matérialiste... La présente édition, en posant les principaux jalons de l'oeuvre philosophique - les Pensées datent de 1746, l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron de 1778 -, immobilise une instabilité de principe, sans interrompre pour autant la circulation du sens. Il appartient au lecteur, comme l'a voulu Diderot, de rétablir les liens entre ces textes épars, afin de les faire vivre et résonner entre eux.
L'oeuvre de Diderot échappe aux catégories habituelles. Elle se développe dans un temps où les genres littéraires sont en crise. Dans ses romans et ses contes, les dialogues se chevauchent, les narrateurs se multiplient, les êtres de fiction côtoient des personnages historiques (oui, Rameau avait bien un neveu)... Du vivant de leur auteur, peu de textes parurent autrement que dans la clandestinité ou la confidentialité. Liberté d'invention, diffusion restreinte : sans doute tient-on là les raisons pour lesquelles Diderot n'a pas été considéré comme un écrivain majeur aussi rapidement que le furent Voltaire ou Rousseau. Mais le temps a fait son oeuvre. Aujourd'hui, c'est le génie et le visionnaire que l'on invoque en lisant ses récits presque entièrement composés de dialogues et où le narrateur, ironique, fantaisiste, ne se fait jamais oublier. Avec les célèbres échanges de Lui et de Moi dans Le Neveu de Rameau, avec ceux de Jacques le fataliste, de son maître et de leurs comparses, et avec ceux, moins connus, de l'Entretien d'un père avec ses enfants ou encore de Mystification : Diderot, auteur, narrateur et personnage, joue de l'illusion romanesque et de ses ficelles. Mais on est bien au-delà du simple jeu de société. Avec ses récits, Diderot parvient à transmettre les questions des Lumières à l'échelle des sentiments humains - amitié, désir, amour - et des individus.
La plus célèbre des correspondances du siècle des Lumières, un document de premier ordre sur la société littéraire et «philosophique» de l'époque. Mais aussi un curieux roman d'amour. Ce fut, comme disait Diderot lui-même qui rencontra en 1754 Louise-Henriette Volland rebaptisée Sophie, une «liaison douce», une affaire de tête et d'estime plutôt qu'une passion charnelle. Peut-être parce que Mme Volland surveillait de très près sa fille ou parce que celle-ci aimait un peu trop sa soeur. «M'oubliez-vous dans les bras de votre soeur ? Madame, ménagez un peu votre santé, et songez que le plaisir aussi a sa fatigue», écrit un jour Diderot à Sophie. Et un autre : «Je ne permets votre bouche qu'à votre soeur.». Quoi qu'il en soit, la «liaison douce» dura autant que la vie des deux amants et «frère Platon», comme disait Voltaire, mourut cinq mois après son Héloïse.
Réalisé à l'occasion du 300e anniversaire de la naissance de Denis Diderot (1713-1784), ce coffret à tirage limité réunit les deux volumes d'oeuvres disponibles dans la collection et l'Album Diderot (par Michel Delon) proposé à l'occasion de la Quinzaine de la Pléiade 2004. L'oeuvre de Diderot échappe aux catégories habituelles. Elle se développe dans un temps où les genres littéraires sont en crise.
Dans les romans et les contes, les dialogues se chevauchent, les narrateurs se multiplient, les êtres de fiction côtoient des personnages historiques. Dans les écrits philosophiques, les discours se superposent : traductions, lettres, essais, dialogues, réfutations. L'oeuvre ne fait pas système. Elle tente inlassablement de capter, dans un jeu de miroirs, une vérité partielle, éclatée. Diderot est un homme de son temps, entre Régence et Révolution, par son enthousiasme pour le savoir, par ses espoirs dans un avenir meilleur, par son libertinage et son goût de la vie.
Il est notre contemporain par sa méfiance des certitudes toutes faites et des systèmes dogmatiques, par son sens de la diversité et de la complexité du monde. Il l'est surtout par sa façon familière de s'adresser à nous.