Passée le seuil du xxie siècle, la question juive n'est toujours pas réglée. L'antisémitisme est une question qui perdure, comme si, à l'échelle européenne et mondiale, on ne savait que faire des Juifs et du judaïsme. Entre haine, rejet, conversion, exclusion, persécution, extermination, l'antisémitisme revêt à travers l'histoire des formes d'une extraordinaire plasticité. La figure du Juif hante notre civilisation au point de contaminer tous les registres de l'existence. Chacun y va de sa réponse, alors même qu'aucun argument rationnel n'est jamais parvenu à combler la haine de l'autre homme. Ne pas être « dupe de la morale », comme l'écrit Emmanuel Levinas dans la préface de Totalité et Infini, cela ne signifie rien de moins que de suspendre la conscience morale, afin d'admettre que là où réside l'antisémitisme, il n'y a pas d'eschatologie de la paix et de la justice qui tienne. Dans un contexte historique marqué par l'expérience de la Shoah, a surgi après la Seconde Guerre mondiale une autre question : le pardon, comme un défi lancé à l'impardonnable et à l'irréparable.
Danielle Cohen-Levinas opère dans son essai un retournement. Au travers de quelques figures majeures de la philosophie contemporaine et de la pensée juive, elle passe au crible la question de l'impardonnable, à savoir comme limitation aux multiples apories du pardon.
Le chant a un statut à part dans l'art musical : c'est comme si la musique, en composant des sons, cherchait à créer par là une voix, à prendre modèle sur la voix humaine. Dès lors, le chant se présente comme la musique par excellence et comme un sujet particulièrement riche de réflexion. S'appuyant sur une analyse des Lieder de Schubert, des pièces d'opéras contemporains ou des musiques d'Orient, l'auteur saisit la complexité du chant en explorant sa proximité avec le cri et son rapport au silence.
Rythmée par différentes lecture du mythe d'Orphée, cette étude présente une philosophie inédite de l'art vocal.
Aujourd'hui, et ce contrairement aux présages d'un Adorno, plus personne n'ose mettre en cause ce genre lyrique qu'est l'opéra. Le propos de l'auteur est d'interroger ce phénomène de survivance à partir du paradigme de renouveau. Cette force de renouvellement - ce retour à l'opéra et de l'opéra - serait-elle peut-être même inhérente au genre? Si le temps de l'opéra est le récit, quels sont alors les rapports entretenus entre texte et musique, et plus précisément entre narrativité et musique? C'est dans une proximité étroite avec les analyses de Walter Benjamin que l'auteur met en lumière la dimension métaphysique de la narrativité musicale, dans la relation au logos qui lui est propre. C'est en effet l'aspect utopique de l'opéra qui permet à ce genre de se critiquer tout en se sauvant. Comme le dit l'auteur : « l'opéra marche à reculons vers son avenir ».
La spécificité de ce volume est de confronter le corpus des textes juifs, à la fois canoniques et secondaires, à des registres de la pensée spéculative et conceptuelle qui ont vécu longtemps dans la méconnaissance du judaïsme et de ses grandes traditions intellectuelles, notamment en Europe. Les spécificités intrinsèques à la religion biblique étant redevables d'un corpus essentiellement narratif, le monothéisme juif s'est déployé dans l'immédiateté d'une conscience religieuse plutôt que dans la tradition philosophique occidentale qui a nourri envers le judaïsme intellectuel un sentiment d'étrangeté mêlé de proximité.
Certains de ces textes ont été prononcés en 2011 à l'occasion du séminaire "La pensée juive à l'épreuve de la philosophie", illustrent chacun et dans des registres très différents ce mouvement de sortie de l'histoire universelle qu'implique la confrontation féconde entre le propre de ce que l'on appelle le Lernen juif d'un côté, et la philosophie occidentale de l'autre. Etudier, enseigner, transmettre requiert toujours pour le judaïsme une dimension de traduction, voire de traductibilité.
Levinas le dira autrement. Il s'agissait pour lui d'énoncer en grec des principes que la Grèce ignorait. Pour l'essentiel il s'agit d'ouvrir la patience du concept, non plus à une vérité absolue, mais au mouvement même d'interrogation et d'interpellation des textes dont les significations ont transmis à notre civilisation leurs langues et leurs cultures.
Le recueil est constitué de quatorze poèmes qui prennent la forme de psaumes écrits à la première personne, dans lesquels s'entremêlent tous les questionnements fondamentaux de la poésie et de la philosophie : la vie, la mort, l'écriture et ses doutes, l'autre.
Le caractère narcissique que pourrait prendre un tel recueil est annihilé par la prise en compte constante d'un possible interlocuteur, auquel s'adresse l'auteur, avec qui elle partage ses doutes, son regard sur la littérature et qui s'incarne, en fin d'ouvrage, en la personne du philosophe Jean-Luc Nancy qui "répond" sous forme d'un repons, terme volontairement emprunté au vocabulaire religieux de la liturgie chantée, pour souligner la présence du dialogue entre les deux auteurs.
Le souci de l'art tel que Levinas nous invite précisément à le penser dans ses formes héritières du chaos, à peine pensables, à peine avouables, représente un moment décisif de la réflexion esthétique de la seconde moitié du XXe siècle.
A la fois témoignage, philosophie critique et horizon de vérité qui viendraient comme dissimulés sous les oripeaux de l'intériorité. Les textes réunis dans ce volume tentent chacun une incursion dans une région de la pensée de Levinas qui ne se laisse pas réduire à des figures ou à une théorie critique. Nous avons tenu à ce que figurent des textes portant autant sur la littérature et la poésie que sur la peinture, voire la musique, tant deux de ces domaines - la littérature et la poésie - échappent pour Levinas au jugement sévère et à la méfiance éthique qu'il affiche dès lors qu'il est question d'art, comme objet qui s'érige en vrai sans le recours au verbe et à la parole.
Qu'est ce qui fonde les relations entre philosophie et musiqueoe Qu'est-ce qui légitime leur proximité et leur désaccordoe Peut-on parler d'une esthétique musicale en vigueur dans l'histoire de la philosophie antique, classique, moderne et contemporaineoe Ce recueil a pour vocation d'interroger les modalités de réflexions et de représentations de ces deux disciplines unies depuis l'Antiquité par ce que l'on pourrait appeler une intimité résonnante et absolument singulière.
Il s'agit de réfléchir à la question des " convergences et divergences esthétiques " en abordant l'art par ses dimensions les plus inactuelles, à savoir diachroniques, transhistoriques, non réductibles à l'objet lui-même. La plupart des textes attirent l'attention sur l'importance de renouer avec des modèles thématiques qui tentent de dépasser l'opposition traditionnelle entre le registre cognitif et le registre émotif. Une contribution à déceler ce qui dans l'art fait événement.
L'ensemble de ce volume se présente comme une réflexion croisée sur une double thématique qui ne cesse d'interpeller les théoriciens, les artistes et les musiciens : récit et représentation. Qu'est-ce que représenter ? Qu'est-ce qui permet d'aborder une oeuvre d'art, en particulier musicale, à partir du concept de représentation ? Les théories philosophiques et la musicologie permettent-elles d'appréhender ce phénomène souvent dissimulé derrière des procédures qui en effacent l'accès.
Ce volume, préparé dans les arcanes d'une tournée musicale européenne qui réunissait de jeunes compositeurs, est né du désir de chacun d'entre eux d'interroger les raisons pour lesquelles ils ne se sentent plus autant portés par une mouvance dite contemporaine que leurs prédécesseurs.
L'art "total", c'était la grande utopie wagnérienne selon laquelle l'opéra, rassemblant de façon quasi fusionnelle la musique, le drame, les arts plastiques, la littérature, aurait du opérer une synthèse supérieure. C'est aussi l'utopie revendiquée par certains cinéastes persuadés que le cinéma finirait par purement et simplement remplacer le théâtre, le roman, la peinture, l'opéra. Au delà de "l'art total" conçu selon un mode synthétique, c'est le champ des décloisonnements, des différentes modalités de la confrontation et de l'interaction antre les arts qui nourrissent cette réflexion.
Luciano Berio est mort le 26 mai 2003. Ce volume de textes rend hommage à un des plus grands compositeurs de sa génération, dont les traces indélébiles ont fondé un véritable langage et une véritable pensée du XXe siècle. Luciano Berio a désenclavé au plus haut niveau l'oeuvre musicale de sa Tour de Babel, en s'inscrivant au coeur de la réflexion esthétique et des pratiques transversales. D'où son lien indélébile avec le théâtre, la poésie, la littérature, la scène, la technologie et la philosophie.
Le centenaire de la naissance d'Emmanuel Levinas a été l'occasion de rendre hommage à cette figure tout à fait singulière de la pensée française. En effet, aucun philosophe n'a, en France, su entremêler et faire résonner ensemble, jusqu'à la discordance, des héritages aussi différents : la culture russe, la tradition juive, la philosophie allemande dans ses deux composantes majeures - la phénoménologie et l'herméneutique. En outre, à l'instar de Merleau-Ponty et Sartre, Levinas est un véritable écrivain philosophique dont le style, unique, le place parmi les très grands virtuoses de la prose théorique. Ni Bergson ni Jankélévitch n'avaient introduit la pensée juive dans le concert philosophique : grâce à Levinas, elle y a trouvé accès et ne cesse, depuis, d'exposer sa richesse à travers les lectures auxquelles il nous a initié, du Talmud à Rosenzweig. Tous les aspects de l'oeuvre de Levinas se retrouvent traités ici sans que la diversité des éclairages ait l'ambition d'une quelconque exhaustivité, mais plutôt le souci d'en montrer, dans chacune de ses composantes, l'originalité, ainsi que la fécondité.
Tout en demeurant l'ensemble qui a fondé l'histoire de la musique spectrale, l'Itinéraire souhaite maintenir une tension et une utopie créatrice qui excèdent les questions théoriques ou les simulacres de liberté et cherche à préserver la possible diachronie entre réflexion et composition.
" L'opéra marche à reculons vers son avenir ".
Il n'est pas rare qu'un paradoxe relève de la provocation. Danielle Cohen-Levinas l'a voulu ainsi. La tâche qu'elle s'est assignée, penser l'opéra aujourd'hui, n'est pas, en effet une mince affaire et les circonlocutions ne sont pas ici de mise. L'opéra, pour être réfléchi dans son présent, contraint inévitablement à " s'enfoncer généreusement dans les méandres labyrinthiques de son histoire ", une histoire traversée d'enjeux croisés, esthétiques, institutionnels, sociaux et politiques.
Parcourir ce détour obligé nécessite, outre la connaissance, toute l'audace et la détermination que révèle ici Danielle Cohen-Levinas. Plusieurs fils circulent dans les arcanes du labyrinthe. La question n'est pas de tirer le bon mais d'entrecroiser les écheveaux de manière à tenir ferme le lien conduisant à une possible réponse. L'idée est simple : comment une forme imprégnée de tradition et victime d'un traditionalisme parfois opiniâtre, parvient-elle en dépit de stigmates anachroniques non seulement à survivre à l'ère de la modernité mais à renaître contre toute attente ? Entre l'événement - l'oeuvre - et le concept, là où loge trop souvent la pierre d'achoppement de la réflexion sur l'art, chaque fragment dresse un pont et confère à l'ensemble de ces " variations sur le concept opéra " la dimension véritablement philosophique que requiert toute théorie esthétique.
Pour Danielle Cohen-Levinas, " l'Ange de la composition est invoqué ". Une telle démarche, où les " exemples " - les analyses musicologiques - ne jouent plus simplement le rôle de références démonstratives mais sont inclus dans l'ensemble du dispositif réflexif et critique, devrait très tôt faire école.
Ce volume regroupe un ensemble de rencontres, dialogues et causeries avec des compositeurs de toutes tendances esthétiques : Georges Aperghis, Antoine Bonnet, Gualterio Dazzi, Pascal Dusapin, Luc Ferrari, Gérard Grisey, Michaël Jarrell, Michaël Levinas, Philippe Manoury, Tristan Murail, François Paris, Fausto Romitelli, Kaija Saariaho, Marco Stroppa, Yannis Xenakis.
Ces textes démontrent une volonté de définir, une fois pour toutes, la logique qui accompagne la plupart des mouvements compositionnels - comme si la cohérence de ces mouvements pouvait relever d'un ordre. D'où la tentation d'interroger la puissance propre du mot Loi au lieu même où se nouent les interrogations que partagent ensemble ou séparément compositeurs, musicologues, interprètes et philosophes.
Schoenberg est à l'évidence un des compositeurs majeurs du XXe siècle. L'héritage classique et romantique dont il s'est toujours revendiqué, le contexte intellectuel dans lequel il évolue et sa singularité toute moderne constituent sans doute une part non négligeable de sa légende, que les questions sociales et politiques ont accrue.
Dans la musique de Schoenberg, transparaît l'esprit d'une époque et l'espérance qui lui donne sens. Un souffle messianique plane sur elle ; et, parallèlement, une empirie à l'épreuve de l'histoire du langage musical l'empêche de revenir à un état antérieur. Or - et c'est bien là le paradoxe - la musique de Schoenberg est là où on ne l'attend pas. Certes, elle répond point par point au mythe fondateur de la modernité, mais elle bâtit aussi sa déroute. Sa tentative de rébellion contre le système est aussi importante que le système moderne. Ce à quoi elle résiste est aussi fédérateur que ce qu'elle préserve. D'où le fait que le modèle structural pour l'analyser ne fait que la fixer là où tout est déjà défait. Comment donc parler d'une musique qui accueille l'instant ? Comment comprendre une musique qui fait de chaque son un événement insaisissable ?
C'est en cherchant à résoudre ce paradoxe que ce volume entend présenter la genèse de la pensée et de la poïétique compositionnelle de Schoenberg.
Jean-Luc Nancy nous a quittés avant la publication de ce livre d'entretiens auquel il tenait. Il porte sur l'antisémitisme et le rejet des Juifs. Pourquoi hait-on les Juifs ? Comment le judaïsme a-t-il survécu à la pulsion d'extermination ? Comment vivre avec l'antisémitisme quand on est juif ?
Autant de questions, et bien d'autres, que ces entretiens soulèvent : les origines de l'antisémitisme, sa singularité irréductible, le rôle du christianisme dans sa constitution, la distinction entre antijudaïsme et antisémitisme, l'impensé que l'exclusion des Juifs représente dans l'histoire de la philosophie, le cas Heidegger depuis la sortie des Cahiers noirs, le phénomène de banalisation, les questions théologico-politiques, ou encore le renouveau de l'antisémitisme. La haine des Juifs semble être un fait civilisationnel avéré, que Jean-Luc Nancy analyse ici sous la forme d'un dialogue sans concession avec Danielle Cohen-Levinas.