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«La plante t'envoie parfois le tigre. Il est comme toi, jeune et fougueux, maladroit, la patte large, percluse de griffes. Il saute sur ta poitrine et ton corps s'alourdit. Ton souffle s'éteint presque, tandis qu'il t'emporte, les yeux larges, les babines retroussées. Tu chasses avec lui. Tu t'embusques. À la nuit, ta prunelle s'élargit et la voix qui s'échappe rugissant de ta gorge résonne si loin que tu t'arrêtes parfois, te retournes... et ne trouves que toi. Cette empreinte ronde sur le sable de la berge. Ce sang lapé comme un lait chaud. Cette dent vivante, impatiente de percer. Que toi, l'enfant tigre.» Mêlant le fantastique à la réalité d'aujourd'hui, ce roman chamanique étourdissant est porteur d'une spiritualité immédiate et profonde.
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"Je me souviens plus trop des bras. Ni du chaud. Ni du reste. La fumée sur l'assiette, un habit sur la peau. Je ne sais plus que la morsure des branches, et le froid sous la pierre. L'haleine du lapin, égorgé sur la mousse. Et l'ombre des feuillages pour me faire un manteau.
Depuis que je suis sous les arbres... Tombée comme ça dans la forêt. Avec partout ce mauvais air. Les yeux qui brûlent. Et la tête en allée.
Je me souviens plus trop des hommes. Seulement pour m'enfouir sous les feuilles, quand ils approchent. Et le ventre qui palpite d'une terreur sans mots."
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« Un jour, ils m'ont poussée dans un placard, puis ils ont refermé la porte. Et je ne les ai jamais revus. Ni la femme qui m'a sortie de son ventre. Ni l'homme qui me portait un peu. J'aurais dû en mourir, s'il n'y avait eu cette bête, entrée par la forêt, sous le carreau cassé. Et j'ai sucé son lait, et j'ai suivi son pas... »
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« Chaque matin, quand Cézanne part au motif, il en appelle à ces témoins, divinités minérales, ligneuses ou liquides, traversé par cette certitude que ce qu'il cherche est au-delà du temps des hommes, au-delà de ce qu'ils voient : cet inespéré qui chaque fois surgissant semble être là depuis toujours, cet éternel présent. » Quand ses yeux fatigués amènent Cézanne à rencontrer Barthélemy Racine, ophtalmologue de génie, et son épouse Kitsidano, jeune Indienne aveugle de naissance, qui voit ce qui ne se voit pas, un monde encore plus mystérieux s'ouvre à lui.
Cette quête éperdue de la beauté nous invite à redevenir les témoins éblouis de la terre où nous vivons. Ce roman visionnaire fait écho à une actualité vibrante et tisse un lien subtil avec les précédents ouvrages d'Anne Sibran, Je suis la bête et Enfance d'un chaman (prix Écritures & Spiritualités 2018).
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"Nous, les Indiens, on sait bien que le diable vit avec nous dans la mine, sous la Montagne d'argent. C'est pour lui que je suis descendu cette nuit-là, au fond des galeries. Ce que j'avais à faire est impensable. Je l'ai fait."Porté par une langue envoûtante qui traverse l'univers âpre et lumineux des heuts plateaux andins, ce roman visionnaire révèle, en ces temps de crise, une part de la réalité d'aujourd'hui.
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« J'ai d'abord su voler. Je sais que beaucoup l'expérimentent lorsqu'ils vont s'endormir, éprouvant ce vertige irrésistible, quand le corps se débat, tournoie dans un vide sans fin.
Mais pour moi c'était vrai. Tôt le matin, l'après-midi en été, le soir après l'école, un peu avant la nuit : j'affirme avoir volé tous les jours jusqu'à l'âge de huit ans. Et je conserve aujourd'hui encore une mémoire si précise de chacun des voyages, le temps, les rencontres et les sensations, qu'il me semble impossible de ne les avoir point vécus. Le rêve ne marque pas la vie avec une telle précision. Et l'eût-il fait que je m'en remettrais aussitôt à cette réalité paradoxale comme à la seule expérience authentique qui me soit jamais advenue. J'ai existé par le vol. Tout le reste, après, mérite à peine qu'on le dise. » Le vol ou l'art du vide ; le vertige ou l'art de l'abîme ; le fil ou l'art de l'équilibre : une somptueuse symphonie en trois mouvements, ou comment le principe de gravité rappelle à leur destin les âmes brisées par une enfance meurtrie.
Anne Sibran a publié chez Grasset son premier roman, Bleu figuier (1999). -
Dans cet intervalle entre le prévisible et le cartographié, il y a tous ces événements infimes qui percent un instant à la surface du monde, le temps d'une inadvertance. Parce que rien ne nourrit la vie comme ces fragments d'entraperçu, depuis plus de dix ans, Anne Sibran tient ces chroniques, en parallèle de son travail de romancière.
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