L'islam suscite des controverses sans fin et prête à bien des confusions. Mais qu'est-ce que l'islam ? Une manière d'être face à Dieu ? Une religion avec ses dogmes et ses normes ? Une civilisation ? Des personnes et des peuples ? Au fond de cette réalité plurielle se pose encore la question des fins : que veut obtenir l'islam et par quels moyens, violents ou pacifiques, cherche-t-il à y parvenir ?
Rémi Brague retrouve ces questions fondamentales pour explorer la vision islamique de Dieu et du monde. Il interroge l'usage de la raison, le rapport à la loi, la subordination intégrale qu'elle requiert, l'attitude envers l'autre, la légitimation et l'emploi effectif de la force. Cet ouvrage redessine à frais nouveaux le tableau de la civilisation islamique et ses apports à la culture européenne. Mais il réfute, en scrutant faits et textes, les constructions légendaires qui y voient la source vive de toutes les avancées, Renaissance et Lumières, dont se flatte l'Occident.
L'islam, écrit l'auteur, n'est pas une religion au sens où nous l'entendons. C'est avant tout une loi qui conçoit la croyance comme une évidence innée qu'on ne saurait refuser sans mauvaise foi. Un monde où le non-croyant n'a pas sa place. Par où il se distingue radicalement des religions bibliques.
Armes de destruction massive, pollution, extinction démographique : tout ce qui menace l'homme en tant qu'espèce vivante ne fait plus de doute. Mais il existe des facteurs qui, venant de l'homme lui-même, sapent son humanité propre. Ils ont beau être difficiles à saisir, c'est eux que Rémi Brague tâche de repérer à travers une analyse fulgurante et radicale de l'idée d'humanisme.
Car il ne s'agit plus de savoir comment nous pouvons promouvoir la valeur homme et ce qui est humain. La question, désormais, est plus profonde : faut-il vraiment promouvoir un tel humanisme ?
Nous ne pouvons plus nous bercer d'illusions. Il est facile de prêcher un humanisme réduit aux règles du vivre-ensemble, mais comment le fonder ? La pensée moderne est à court d'arguments pour justifier l'existence même des hommes. En cherchant à bâtir sur son propre sol, à l'exclusion de tout ce qui transcende l'humain, nature ou Dieu, elle se prive de son point d'Archimède. Est-ce une façon de dire que le projet athée des temps modernes a échoué ? C'est au lecteur d'en juger.
Il y a trente ans, quand on voulait être pris au sérieux, on parlait politique ; évoquer la religion, en revanche, était le meilleur moyen de faire rire. Aujourd'hui, la situation s'est inversée ; la religion fascine, inquiète, et la peur s'installe à l'égard de certaines de ses formes, voire de la violence que, suppose-t-on, elles fomentent.
Il importe d'essayer d'y voir un peu clair. Poursuivant le travail d'élucidation qu'il a entrepris depuis une dizaine d'années, Rémi Brague s'interroge sur la légitimité même du terme « religion », puis sur le contenu propre des religions - avant tout sur celui des « trois monothéismes ». Qu'est-ce que la religion nous dit de Dieu, et de l'homme en tant qu'il est doué de raison ? Qu'est-ce qu'elle nous dit d'autres domaines de l'humain comme le droit, la politique ? En quoi garantit-elle - ou menace-t-elle - la liberté morale, sinon l'intégrité physique, des individus ?
Un essai salutaire pour délaisser nos a priori et prendre de la hauteur.
" On n'a pas besoin de métaphysique, et encore moins de sa version populaire, la religion. Il suffit d'une bonne morale pour savoir quoi faire, d'un droit et d'une politique efficaces pour la faire respecter. "
C'est faux.
Cela a pu être vrai. Cela reste vrai là où il s'agit de fournir des règles pour que les hommes vivent en paix les uns avec les autres. Seulement, aujourd'hui, l'homme a réalisé le projet moderne et pris son destin en main. Il peut décider librement d'être ou de ne pas être. Pourquoi y aurait-il de l'être et pas plutôt rien ?
Désormais, une nouvelle question se pose, celle de la légitimité de l'humain. Pour lui donner une réponse positive, il faut que la vie soit un bien. Il ne suffit pas qu'elle soit agréable ou intéressante pour ceux qui sont déjà vivants–;ce que nul ne nie. Il faut encore que la vie soit un bien tellement grand qu'on ait le droit d'y appeler d'autres. Et affirmer que l'être vaut toujours mieux que le néant, c'est une décision métaphysique. Pour que la vie humaine reste possible, il faut une métaphysique forte.
La métaphysique n'est pas, ou plus, un édifice dans les nuages. Elle est devenue l'infrastructure même de la vie humaine. " Animal métaphysique ", l'homme est en train de le devenir le plus littéralement du monde.
Comment imaginer notre existence d'hommes, notre souci du bien, notre présence dans le monde ? Pour explorer ces questions, Rémi Brague propose de retraverser l'histoire de la pensée. Son livre restitue le rapport mouvant de l'homme à l'univers : il en interroge les origines antiques et les sources bibliques, en retrace les inflexions médiévales et en décrit le naufrage à l'époque moderne.
Pendant deux mille ans, l'homme s'est vu comme un monde en petit, dressé vers le ciel, fait pour le contempler. Il a cru que la sagesse qu'il cherchait était en phase avec celle qui gouvernait déjà l'univers. L'ordre et la beauté du monde étaient le modèle imposant du bien. Tendre vers la vertu, c'était imiter le ciel. Sur terre, lutter contre le mal, c'était résorber une infime exception au regard de l'immensité du bien. Là-dessus, Platon était en accord avec la Bible.
Mais cette image antique de l'être dans le monde, qui survivait encore au Moyen Age, allait s'effacer à l'aube des temps modernes. Elle a fait place à des "visions du monde" où des fragments épars empruntés à l'image ancienne se mêlent à des modèles concurrents autrefois refoulés.
Ainsi l'univers a-t-il cessé d'être le précepteur de l'homme. Nous ne savons plus où contempler notre humanité. La sagesse du monde nous est devenue invisible. Il nous faut aujourd'hui la repenser à nouveaux frais.
Rémi Brague, professeur de philosophie à l'Université de Paris I, est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Aristote et la question du monde (1988) et Europe, la voie romaine (1992).