La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l'objet de l'analyse reste la quête des origines, la compréhension de l'être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. L'aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s'effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d'en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
Chaque époque affronte, à un moment de son histoire, son seuil mélancolique. De même, chaque individu connaît cette phase d'épuisement et d'érosion de soi. Cette épreuve est celle de la fin du courage. Comment convertir le découragement en reconquête de l'avenir ? Notre époque est celle de l'instrumentalisation et de la disparition du courage. Mais ni les démocraties ni les individus ne peuvent en rester à ce constat d'impuissance. Nul ne résiste à cet avilissement moral et politique. Il s'agit de surmonter ce désarroi et de retrouver le ressort du courage, pour soi, pour nos dirigeants si souvent contre-exemplaires, pour nos sociétés livrées à une impitoyable guerre économique. Le plus sûr moyen de s'opposer à l'entropie démocratique reste l'éthique du courage et sa refondation comme vertu démocratique. Dans cet essai enlevé, Cynthia Fleury rappelle qu'il n'y a pas de courage politique sans courage moral et montre avec brio comment la philosophie permet de fonder une théorie du courage qui articule l'individuel et le collectif. Car si l'homme courageux est toujours solitaire, l'éthique collective du courage est seule durable. Cynthia Fleury, philosophe, professeur à l'American University of Paris, travaille sur les outils de la régulation démocratique. Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Les Pathologies de la démocratie (Fayard, 2005).
Nous ne sommes pas remplaçables. L'État de droit n'est rien sans l'irremplaçabilité des individus.
L'individu, si décrié, est souvent défini comme le responsable de l'atomisation de la chose publique, comme le contempteur des valeurs et des principes de l'État de droit. Pourtant, la démocratie n'est rien sans le maintien des sujets libres, rien sans l'engagement des individus, sans leur détermination à protéger sa durabilité. Ce n'est pas la normalisation - ni les individus piégés par elle - qui protège la démocratie. La protéger, en avoir déjà le désir et l'exigence, suppose que la notion d'individuation - et non d'individualisme - soit réinvestie par les individus. "Avoir le souci de l'État de droit, comme l'on a le souci de soi", est un enjeu tout aussi philosophique que politique.
Après Les pathologies de la démocratie et La fin du courage, Cynthia Fleury poursuit sa réflexion sur l'irremplaçabilité de l'individu dans la régulation démocratique. Au croisement de la psychanalyse et de la philosophie politique, Les irremplaçables est un texte remarquable et plus que jamais nécessaire pour nous aider à penser les dysfonctionnements de la psyché individuelle et collective.
"Ce livre donne une joie étrange, comme celle que peut engendrer la vision d'un flocon de neige dansant entre terre et ciel, ivre d'aller à la rencontre de sa propre mort.
La toupie d'une pensée tourne avec les pages. Sa pointe est appuyée sur cette intuition : la parole audible, seule digne d'être écoutée car seule vraie, est la parole qui renonce à être sa propre lumière, pour s'éprouver buée sur le miroir du langage seul divin. Telle est la parole du poète, ou celle de l'imâm.
La belle invention de ce livre est de détacher l'écrivain de toute appartenance esthétique, et le saint de toute soumission doctrinale. Encore faut-il préciser : personne n'est poète. Personne n'est saint. Seul le langage l'est quand il renonce à saisir l'insaisissable et qu'il n'est plus qu'un effet de sidération du poète ou du priant. La vérité n'est pas atteinte dans le chant du soufi, pas plus qu'elle ne l'est dans la phrase surnaturellement obscure de Mallarmé. C'est l'inverse : ce sont eux - le soufi qui tourne autour de la poussière de son âme, et le poète qui demande à l'univers mutique d'écrire son livre absolu - qui sont soudain malgré eux atteints par la vérité informulable. Blessés par la lumière. À terre."
Christian Bobin
Notre monde est fini et nous en faisons partie. La biodiversité et l'humanité ont leurs destins intimement liés, tant la protection de la première ne va pas sans la protection des relations sociales qui tissent la seconde. Il est urgent de redéfinir les relations des différents acteurs de la biodiversité pour réconcilier biodiversité et société.
Aujourd'hui, les relations entre biodiversité et société sont formalisées à toutes les échelles, de la gouvernance mondiale (conférences de Copenhague, de Nagoya...) aux stratégies des entreprises : ce lien unit les acteurs politiques, sociaux et économiques pour parler du monde naturel qui nous entoure et avec lequel nous interagissons sans cesse. Mais, historiquement, ce sont les associations de protection de la nature qui se sont souciées les premières de la biodiversité et de la nécessité impérieuse d'alerter l'opinion. Comment peuvent-elles aujourd'hui dépasser leur statut de dissidence et intégrer certains processus de gouvernance ? Plus généralement, comment fonder un pacte social qui lie les citoyens avec la nécessaire protection et gestion de la nature ?
Ce sont les questions auxquelles répond cet ouvrage collectif, qui réunit les meilleurs chercheurs dans toutes les disciplines liées à ce sujet.
The greatest threat to modern democracy comes from within and it has a name: resentment. Stemming from feelings of inferiority in relation to others, resentment is a diffuse and obsessive loathing, coupled with delusions of victimhood, which clouds one's judgment and perspective, so that an individual's capacity to act and heal is paralyzed. Without the ability to heal, resentment can give rise to violent impulses, to the rejection of the rule of law, the proliferation of conspiracy theories, and the urge to use violent means to try to regain control of one's life. As individuals and as societies, we face the same challenge: how to diagnose resentment and its dark forces, and how to resist the temptation to allow it to become the motor of our individual and collective histories. This bestselling and highly original account of the psychic forces shaping modern societies will be of great interest to anyone concerned about the crisis of democracy today and what we can do to address it.