En choisissant d'étudier le nationalisme de Maurice Barrés, Zeev Sternhell ne pouvait manquer de se heurter à une question essentielle : comment le jeune écrivain des années 1880, dilettante et anarchisant, a-t-il pu devenir, en l'espace de quelques années, l'un des grands interprètes de la pensée traditionaliste française, le doctrinaire et lei poète du culte de la Terre et des Morts ? Comment, en d'autres termes, s'est opéré le passage, dans le climat intellectuel et moral de la fin du XIXe siècle, du principe de I' exaltation de la personne à l'idée de la subordination de l'individu à la collectivité, de l'affirmation hautaine du Moi individuel à la soumission au Moi national ?
A cette interrogation majeure Zeev Sternhell répond d'abord en retraçant avec une impitoyable précision toutes les étapes d'une biographie intellectuelle : le recensement exhaustif (et c'est là sans doute l'un des apports les plus originaux de l'ouvrage) de l'oeuvre journalistique de Barrès permet, sur ce plan, de fixer les points de repère essentiels, de suivre les cheminements, de démontrer toute la logique interne
La seconde réponse est fournie par l'étude, non moins exhaustive, de l'environnement politique et intellectuel, c'est-à-dire des formes d'engagement, des amitiés et des influences : l'action de certaines écoles, certains groupes de pensée et certains doctrinaires se trouve, dans ces perspectives, pleinement, et pour la première fois, mise en valeur ; c'est tout le panorama d'une certaine France de la fin du XIXe siècle qui se trouve en fait restitué.